Quelques échos sur l'oeuvre poétique de F.-Y. Caroutch
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FRANCESCA-YVONNE CAROUTCH
Glané par Igor Smetanoff dans des anthologies, des livres,
des revues, etc.
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En rédigeant la préface à Voyages du double (Ed. Rougerie, 1988), André Pieyre de Mandiargues pria Yvonne Caroutch d’ajouter à son nom de plume  son véritable prénom, Francesca. Elle renoua ainsi avec ses ancêtres italiens qui s’étaient unis à  la famille Roosens,  corporation d’échevins flamands , bienfaiteurs de l’Église, dont le blason remonte à l’époque des Croisades. Ses autres ancêtres étaient des galaxies de nomades originaires d’Asie centrale.
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 I.S.
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Yvonne Caroutch
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SOIFS (Ed. Ned)

Jeune fille, à la limite de l’adolescence, Yvonne Caroutch a l’âge du poète, l’âge de Rimbaud-voyant, où l’on tire et fait mouche sans trembler ! Elle a reçu, en même temps que la grâce, un matériel d’images qui - pour avoir été retiré des entrepôts du siècle – n’en demeure pas moins déconcertants et mystérieux. Ce n’est certes point  attenter à sa féminité à sa lumière intérieure, que déceler en ce qu’elle écrit un accent heureusement viril. Le mot « poète », au demeurant, ne comporte pas de féminin acceptable. Yvonne Caroutch le sait, comme elle sait instinctivement toutes choses. Pour cette raison, elle ignore l’art de broder au petit point, le sentimentalisme fade. Les élans qui la portent sont généreux, cosmiques. Elle vit avec les marées d’astres, les plantes, avec la coulée volontaire des fleuves et le craquement des étés torrides. Si le génie est – comme on l’assure – un épiphénomène, extérieur à la personnalité et qui cogne, à certains instants, pour tirer un chant, un retable, une symphonie, de la plus anonyme des créatures, Yvonne Caroutch est assurément traversée de cette injonction ou de ce glaive. Elle fait songer à la petite gardeuse de brebis, ignorante des falsifications comme des belles manières de l’esprit, mais qui sait déceler l’endroit d’où vont monter des voix. Son oeil, pareil à l’objectif, tranche au 1/100ème de seconde dans la réalité pour en isoler les images. Un instinct de femelle sauvage dicte sa démarche et sa quête.
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Luc Bérimont (Carrefour des Lettres, 1954. Extrait )
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Evelyn de Morgan
La Nuit, mère d’Hypnos, et le Sommeil. 1878

Soifs par  Yvonne Caroutch (Éditions Ned)
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…Merci pour Soifs, les bien nommées. J’en aime le mouvement hardi, l’abondance charmée, les épousailles avec l’illustre univers…
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Lettre de Joseph Delteil - 2 Novembre 1954
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Nostalgie de la lumière (Photographie Evgen Bavcar)

 
Soifs par  Yvonne Caroutch (Éditions Ned)
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Écrire que les poèmes de cette adolescente sont excellents serait trop peu. Il s’agit, en effet, d’une révélation et, cela veut assez dire, je pense, qu’ils possèdent, outre leur valeur poétique qui est certaine, une densité, une suavité, une grâce exceptionnelles.

Nous aimerions, bien entendu, que le lecteur dirigeât sa curiosité vers ce petit livre aux images âpres et dépouillées, vibrantes et scintillantes comme l’acier où se reflète une âme lucide et tourmentée, brûlante et pathétique qui nous embrase « comme un grand feu de menthe ».
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Michel Manoll (Franc-Tireur. 4 Novembre 1954)


SOIFS, poèmes de lycéenne
UNE LUCIDITE OUVERTE
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Elle cherche à libérer sa propre personnalité. Ce qui est un véritable attentat contre les lois de la nature… Cela nous vaudra des vers rarement aussi denses, aussi personnels, exprimant une pensée qui va encore se resserrer, se tendre pour l’arrachement définitif de la terre.

L’atmosphère de rêve qui embue ces poèmes pardonne à l’avance cette transgression de la loi fondamentale dans laquelle, une fois de plus, elle a entraîné son compagnon.

Michel Velmans.  (Parallèles, Janvier 1956)
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Cranach l’Ancien, 1532


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Soifs d'Yvonne Caroutch est un recueil qui fait parler, l'évènement du jour. On sait le goût de Reverdy pour ces poèmes. Et comme les femmes poètes sont souvent discutables, il ne faut pas craindre d'apprécier celle-ci, dont le beau nom barbare est à  lui seul un poème. Si tout ici n'est pas nouveau, il faut savoir gré à Yvonne Caroutch  de donner vie, authenticité à des images connues, qu'elle vide tout contenu intellectuel, qu'elle nettoie de toute écorce rhétorique. Sa voix est ferme, forte, rauque, dirais-je...Elle donne au désespoir une expression saine, une ardeur bien réconfortante. Nous savons qu'Yvonne Caroutch ne sera point vaincue.
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(P.L. Arts et spectacles, Octobre 1954)
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On a tant dit que la poésie, c’est l’enfance « conservée » ou « retrouvée en larmes » qu’on s’étonne de pouvoir mettre sur une poésie aussi naturelle, aussi instinctive, et pure que la vôtre, le visage d’enfant que vous avez. Pour une fois – la dernière, c’était Cadou, l’avant-dernière Radiguet, l’avant-avant-dernière, Rimbaud – le poète est dans sa poésie comme poisson dans l’eau , comme chair dans la peau,  comme sève dans l’ormeau. Je n’encense pas : j’assiste à l’évidence. Ne perdez pas cette fraîcheur admirable, cet amour du vert, ce cousinage d’étoiles. L’eau restera vive en vous tant que vous ne vous désaltérerez pas de vos soifs.
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(Jean Rousselot. Extrait de lettre, Octobre 1954)
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Fleur des Histoires,  par Jean Mansel, XV° siècle

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…J’ai r’ouvert bien souvent le petit livre, le relisant chaque fois avec  la même spontanéité. Ils invitent, vos poèmes, à la spontanéité. Vos images sont directes, nouvelles, vivantes. Comme vous le dites bien, page 24 , quelle "apocalypse de la soif" ! Le feu central et l’eau s’étreignent, les contraires se transpercent. Et vraiment, moi qui ai tant rêvé dans les champs, n’ai-je jamais pensé à faire, comme vous,  sous des épaisseurs de terre,  "un grand feu de menthe". Ah ! j’aurais aimé ainsi incendier la rivière..Vous voyez, votre livre a pour moi toutes les odeurs du feu . (…).
Lettre de Gaston Bachelard. 31 octobre 1954


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…Si la poésie puise dans la nature de quoi faire ce que la nature ne fait pas, on peut à la rigueur admettre que le Printemps vienne demander un signe de timide approbation à l’hiver. Mais les gestes des branches dénudées sont plutôt tristes… C’est un grand privilège de pouvoir à dix huit ans écrire et publier de beaux poèmes – et de vivre, comme vous le dites, dans votre  propre royaume. Mais ce n’est pas vers l’hiver refermé qu’il faut à présent regarder, mais du côté de votre bel été, dont je suis sûr que vous avez de merveilleuses moissons à attendre….
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Lettre de Pierre Reverdy - 26 Janvier 1955
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…Il y a en elle un imagier rustique, un architecte trouble et troublé, surtout un goût indéniable (qui s’en offusquerait ?) pour le côté  charnel des êtres, de l’existence. Sa main caresse à qui mieux mieux. Dans sa marche à l’amour, patiemment dirigée, elle a les lèvres ouvertes sur  son murmure lourd et rauque. L’ami, Prince ou héros, saurait-il rester insensible à cet appel qui insiste ? Héros, Eros, plusieurs feux la partagent, la brûlent…
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Jean Breton (Parallèles, Janvier 1956)
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Dosso Dossi. Savant, entre compas et sphère (Début XVI°)


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…Merci de m’avoir fait lire vos poèmes. J’en aime le ton puissant et farouche. (…)
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Lettre de Jean Paulhan - 17 Février 1955
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Le G de Pythagore, en ce point où il s’allie au Graal, découvre la profondeur de notre destin, comme celui de nos possibilités de salut. Les grottes esséniennes comme celles de Platon, comme celles de Mithra, sont les images d’une descente en soi, que le G nomme spirituellement, en pleine nuit, ainsi que la source la plus pure : celle de la lumière orphique, aux prises avec l’éternelle Ténèbre. La quête du Graal, si elle blesse  l’audacieux Perceval, comme elle avait condamné Prométhée, confère au héros ses titres de noblesse, qui sont sa grandeur initiatique. Dans le temps où le taureau des arènes espagnoles reçoit les banderilles, comme le roi reçoit les Saintes-Huiles, le G de Métaponte s’accuse et se sauve, entreprend l’Elu en la conquête solennelle de la seule vérité qui importe ; le Graal et non pas Dieu, mais le Regard. Non pas l’œil. Ainsi qu’il arrive à ces pêcheurs de perles, qui soudain se transforment en chasseurs de requins, l’initié brise la fleur de glace pour y voir plus loin que l’hiver ; et voici le Graal qui se brise comme une coupe de noces à la Tzarine, et le G, à nouveau  triomphe, innombrable, dans l’unité parfaite de son nombre.
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Yvonne Caroutch ( Recherches graphiques. 1955. Extrait)
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Un recto tono aigu, tendu avec des modulations de comas et de brusques syncopes.
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Jean Grosjean (La Nouvelle NRF, 1955)
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LES VEILLEURS ENDORMIS
YVONNE CAROUTCH ET LE SILENCE INTERIEUR
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Caroutch, il apparaît que le silence est un de ses plus hauts moyens de création. Nous entendons par là que, loin de tout lyrisme,  sa manière d’écrire retrouve ce mutisme élevé qui est bien  celui des œuvres manifestement profondes. Toujours est-il que le silence est notre chance la plus certaine de parvenir à la plénitude, même lorsque ce silence n’est autre que le fracas des eaux, dans un petit matin où s’échangent des paroles coupantes, ou lorsqu’il naît des "rumeurs d’insectes sous nos grands feux de ronces".C’est grâce à lui que "l’aube a la saveur de l’air avant le premier feu. "…Je connais assez intimement Yvonne Caroutch pour affirmer que beaucoup de ses textes furent écrits dans le tumulte le plus abrutissant, quant il semble impossible de conserver une parcelle de calme. A ces moments-là, Yvonne Caroutch avait le privilège de lisser un immense lac intérieur, et le silence jaillissait de ses mots, telle une ferveur tissée fil à fil……pour écouter "le chant confus d’un peuple de licornes enlisées dans l’ombre du cœur".
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Claude Hartman.  (Parallèles, Janvier 1956)
 
 Domenico Fetti  ( XVII°, Louvre)

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Vos Veilleurs endormis connaissent tous les songes de la vie. Je lis vos poèmes, je les relis dans les heures d’avant l’aube. Il est six heures. Paris hésite entre le noir et le gris. Je suis vraiment en face du "porche de l’ombre"..

Vos pages m’aident à rêver. Vous savez que chaque objet est un monde endormi, une source de mondes légendaires. Votre dernier poème (page 39) le dit si bien !
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Je n’ai pu décrypter le titre du poème page 24. Dans quelle "hutte" l’avez-vous vécu ? Oui, dans quelle hutte avez-vous connu "la fête obscure des galaxies" ?
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Personne, sauf vous, ne le saura. Mais vous, vous le savez. (…)

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Lettre de Gaston Bachelard - 7 Janvier 1956
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Yvonne Caroutch, d'une manière inexplicable pour les gens seulement raisonnables, participe à la vie obscure de la terre. Le sachant, elle écrit Les veilleurs endormis, où elle a beaucoup de talent pour exprimer un tel mystère. Dans une suite de poèmes concis alternant la prose avec les vers, elle trouve l'image neuve, juste, au net éclat. Il semble que la beauté un peu glacée de son lyrisme concourt à l'édification d'un Parnasse moderne, issu du surréalisme.
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(Le Thyrse, 1956)
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Caroutch nous donne, avec Les veilleurs endormis (Ned), une suite à son premier recueil, Soifs.Toujours même intériorité et même atmosphère. Oui, une poésie d'atmosphère: cœur, graine, cri, gorge, proie, silex, artère... Et quelle intensité de sensations et d'expressions, quelle puissance d'envoûtement!

Couchés dans d'obscures cavernes, nous traverserons la fulgurante éternité des haleines qui s'entremêlent. Notre passé, le cou tranché au ras de l'angoisse, s'enlise doucement dans les sables du bonheur.
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Pierre Chabert ( Avignon soir, 13 mars 1956)
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Un mur du cloître de Saint Guilhem le désert. (Hérault).
Photographie de Bernard Eudes.


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Dans la jeune poésie de notre temps, je note cette nuance délicate de l’image bienfaisante. Yvonne Caroutch (Les veilleurs endormis, Ed. Debresse) entend l’aube citadine quand la ville «a des rumeurs de coquillage vide». Cette image, elle m’aide, être matinal que je suis, à me réveiller doucement, naturellement.
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Gaston Bachelard  (La poétique de l’espace. P.U.F. 1957)
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Sur L'Oiseleur du vide (Empreintes, 1958)
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La jeune poétesse Yvonne Caroutch sait ce qu'est la poésie. Dans l'herbier des mots, elle sait choisir celui qui porte saveur et couleur...Un monde ambigu  et fascinant que la palette poétique nous rend en demi-teintes. "Entre deux battements de cils surgissent des mondes de légende."

Mais ces tableaux servent de support à une pensée qui s'achemine dans une direction déjà marquée. "Soumis à des rites obscurs dont la clef s'est perdue, nous évoluons  entre de perpétuels jeux de miroirs, qui renvoient nos gestes vieux de milliers d'années" nous ramène à Platon et "Nous nous croyons éveillés au cœur de notre certitude, mais nous ne sommes que des dormeurs enfouis dans des pays ensablés" aux penseurs de l'Orient.
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Christiane Burucoa (France latine, Juillet 1958)
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…Une force de poèmes est en vous. Quand vous reviendrez à Paris,  revenez me voir. Je suis d’habitude chez moi  vers 18 h 30. Si je suis absent, vous venez le lendemain. Inutile de m’écrire : je n’ai pas le téléphone. (…)
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Lettre de Gaston Bachelard - 27 Mars 1959
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PAYSAGES PROVISOIRES
 Ed. Mica - Venise, New York - 1965
Edition bilingue. Traduction anglaise de Raymond Federman
Avec douze gravures de Vittorio Basaglia
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 …Comme le disait Diego Valeri, après avoir traduit cette suite de poèmes en italien, à la demande de la galerie Il Cavallino, les pages brûlantes de la jeune poétesse et les gravures de Vittorio Basaglia s’épousent pour exprimer la quintessence de cette ville magique.
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Vittorio Basaglia. Photographie de Francesco Barasciutti
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Il Gazzetino. Venezia - Mars 1967
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…Dans Soifs, Les veilleurs endormis, L’oiseleur du vide et Paysages provisoires, elle enchaîne de « petits éclats d’éternité » qui sont autant de notations végétales, minérales, charnelles etc., arrangées avec soin dans un éclairage surréel….
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 Jean Rousselot (Dictionnaire Larousse de Poésie contemporaine, Janvier 1968)
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…Le poème du Pont de l’épée m’a bouleversé, tant il m’a donné l’impression de remonter aux sources mythologiques, luttant pour inverser le temps et dépasser notre condition. De l’incantation à la prière païenne, quelle moisson d’images, quelles laves, quelles fusions ! J’en suis sorti confusément exalté, heureux, presque. Vraiment, j’aime la poésie telle que vous la faites, plus que tout. (…)
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Lettre de Robert Sabatier - Lundi de Pâques 1970


LIEUX PROBABLES

Je relis les Lieux Probables : les trouvailles parfois géniales sont innombrables, et je passe de l’admiration à l’exaspération : de telles qualités dispersées… jetées au vent ! aux Barbares !
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François Augiéras. Lettre du 25 juin 1968 - (Les Fougères, par Brantôme.)
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J'ai retrouvé avec émotion les étonnantes qualités : dans ce recueil, il y a peut-être 50 phrases - je n'ose pas dire vers - absolument admirables ! De musicalité, de profondeur, de rythme, d'intuition ! 50 phrases de prose exemplaire ! Un recueil de nouvelles m'intéresserait  davantage, un engagement dans le Réel !... du solide, un témoignage. Je relis les Lieux Probables : les trouvaille parfois géniales sont innombrables, et je passe de l'admiration  à l'exaspération : de telles qualités.., dispersées.., jetées au vent ! aux Barbares. Pire, aux Lettrés, aux raffinés...
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François Augiéras
( Au bord du fleuve, le paradis des fleurs et des oiseaux )


Yvonne Caroutch tient les défis, tout en renouant intelligemment avec le romantisme allemand.
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 Jean Breton  Poésie féminine d'aujourd'hui  (Poésie 1, 1969.)


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Yvonne Caroutch, étonnement douée dans Lieux probables, qui est une manière de chef-d'œuvre, appartient, elle aussi, à la nuit criblée de feux des romantiques allemands. Inquiétante, trouble et vénéneuse, sa poésie hante les marécages, les canaux ou les lagunes d'une Venise transfigurée, avec cette somptuosité baroque qui ne laisse pas d'être soutenue par d'occultes réminiscences.
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Alain Mercier (Magazine littéraire. Les grands courants de la poésie française.  Décembre  1970)
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De Francesca Y. Caroutch, on peut dire que sa poésie est "parole debout".
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Gilbert Lély (Dédicace de ses Oeuvres poétiques à l'auteur, 1970)
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Les veilleurs endormis, de Caroutch : on sait qu'il n'en est point de plus lucides. Cauchemars, visions atroces ou baroques irriguent son poème, en familiarité avec la nuit. En décalage permanent avec l'heure humaine, elle appelle autour d'elle un luxe d'espace imaginaire, où règne la sensualité.
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Magazine littéraire (Petit dictionnaire des poètes. Décembre 1970)
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CORRIDOR ou TOMBEAU DU ZODIAQUE
Anthologie Poètes singuliers du surréalisme et autres lieux
(Ed. 10-18, 1971
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Niklaus Manuel Deutsch (XVII° siècle)
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J'aime beaucoup vos pages, dans "Poètes singuliers". Je les ai méditées en essayant de retrouver, à travers, votre visage.
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René Nelli. Lettre du 13 octobre 1971
(à propos de recherches sur les Fidèles d’Amour)
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Rencontre de Dante et de Béatrice, à Florence
Henry Holiday, 1884
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LA VOIE DU CŒUR DE VERRE
Éditions Saint Germain des Prés
Prix Louise Labé 1974
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…Votre sincérité est totale, et c’est sous l’empire d’une profonde et  vive émotion que vous écrivez. Chacun de vos poèmes contient des notations admirables. C’est pour moi un réconfort intellectuel de connaître vos poèmes saisissants….
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Lettre de Gilbert Lély,  24 décembre 1969

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Exprimée sans emphase ni détours, peu soucieuse de novations, la poésie d'Yvonne Caroutch est tout angoissse, prémonitions, douleurs, espoir insensé. un tempérament inquiet s'y déploie entre mille sensations étranges, où la sorcellerie a sa part. Le vertige de la difficulté d'être y laisse
de remarquables stigmates.
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Tu reviens 
taisant quelles secrètes blessures 
quels obscurs combats 
dans quelles ruches venimeuses 

Le mot perdu un soir de pavot et de cèdre 
tu le cherches à tâtons 
à fleur de mémoire à mémoire d'abîme 
herbe magique perdue dans les terres occultes 
dans le corps immense de la nuit 

Au bois sec de l'oubli 
écoute le cri de l'entaille 
qui ne veut pas se refermer 
qui regrette la hache

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Alain Bosquet  (Le Monde, 7 Juin 1973)
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…Caroutch s’exprime en de fortes images,  qu’on ne peut plus oublier…C’est un monde fantastique qui s’éveille autour d’elle…La fièvre gagne les éléments. Le réel et le surréel, marqués de la même passion, posent la même énigme, insoluble…
 Serge Brindeau - La poésie contemporaine  (Ed. Saint-Germain-des-Prés, 1973)
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 A des extraits de ses précédents recueils (Soifs, Les Veilleurs endormis, l’Oiseleur du vide, Paysages provisoires, Lieux probables), Y. Caroutch a ajouté les pages inédites qui donnent son titre à cette anthologie. L’unité de l’œuvre tient dans un ton de solennité qui subordonne l’aventure personnelle (rarement elle écrit je) à une inspiration cosmique, faisant tournoyer jusqu’au vertige tout un monde éclaté où ne se perçoit plus qu’à peine "le battement d’un cœur de verre dans le miroir brisé".
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A.Carriat. Les livres. N° 199 - Février 1974
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HORDES VIRGINALES DU MATIN
Editions Lettera amorosa, 1976
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Avec Joyce Mansour, F. Yvonne Caroutch est l’un des rares poètes féminin d’aujourd’hui à  créer une poésie constamment érotique, mais qui sait conserver un caractère général au lieu de se perdre en confidences personnelles. Issues l’une et l’autre du surréalisme – ce qui explique peut-être leur distance à adopter la forme du conte, du roman ou du poème en prose – elles se séparent toutefois au niveau des intentions, Joyce Mansour chérissant les masques grimaçants du scandale, tandis que Caroutch préfère la nudité de visages secrets de l’être en proie aux angoisses et aux fêtes de l’invisible.
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Depuis Soifs, son premier recueil, Yvonne Caroutch a suivi un chemin qui est celui d’une quête intérieure essentielle, non dépourvue de dangers si l’on considère le tracé vertigineux de cet itinéraire, entre instinct sauvage et effort en vue d’acquérir une totale connaissance. Alchimiste des mots, le poète de Hordes virginales du matin (illustré d’une lithographie de Martin Dieterle) fixe ici, en vingt deux textes d’une prose très dense, dépourvue à la fois de mollesse et d’aspérités, ces secondes de pure voyance qui enrichissent le dormeur au moment de son éveil, quand l’esprit hésite encore à opter pour le règne de la nuit ou celui du jour.
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Marc Alyn. Le Figaro - 30 Avril 1976
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La magie siège au cœur de la vision, sur des trônes de glace et de feu désertés par les dieux, depuis que l’homme ne possède plus de regard pour "voir". Yvonne Caroutch nous enseigne la voie du Cœur de  verre comme une clairière blanche et paisible où le corps et l’esprit, à jamais divinisés,  se reposent de leur quête harassante.
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L’auteur nous prouve une fois de plus que le langage poétique est véritablement l’expression du Verbe, la première parole offerte au silence d’avant la création. Alors l’homme se fait fils des dieux et commence le long périple qui le conduira au-delà de lui-même, et la femme retrouve la coupe étincelante dans les ruines de sa mémoire. L’un et l’autre, frère et sœur d’un même empire, redonnent à la brûlure sa splendeur ciselée. Les nuits chaudes de Provence roulent comme un velours espagnol, la mort et l’extase viennent boire au désir devenu plaie ouverte, et c’est d’alchimie qu’il s’agit lorsque le corps nouveau surgit loin derrière la nuit, porteur des vérités jamais prononcées. C’est ainsi que naissent les nouvelles étoiles, et c’est ainsi que l’homme redevient dieu, après la nuit interminable, que le feu le plus ardent donne naissance au cœur de verre.
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L’autre monde, N° 24 - Eté 1978
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Consolata Radicati  (2005. L’Albero della Rinascita)
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VIVANTE POESIE
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…Yvonne Caroutch  entra en poésie avec Soifs, chez NED, dans la collection des "Curieuses demoiselles". Curieuses dans le sens d’étranges, d’étonnantes. Cette demoiselle-ci, aux ascendances tibéto-mongoles, sinon gitanes (d’où son goût pour le nomadisme) et par une autre voie, apparentée à Circé, tenait de la magicienne, à la différence que ses philtres n’étaient pas composés d’herbages, mais de lexies.
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Quand nous serons
comme deux soleils ivres
dans le silence des figues
quand la nuit moite croulera
au loin sur les villes mortes
quand nous entendrons le cri compact
des graines enfouies
sous des épaisseurs de terre
nous ferons un grand feu de menthe
pour annoncer les épousailles
de l’âme obscure des rivières
et de nos soifs multipliées
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Déjà la voie était tracée, déjà sourdait l’appel de ce qui est au-delà de l’intelligence. Un sens inné du symbole. (…) le dit  symbolique et initiatique  de cette poésie sera concerté, tout en restant accessible au profane. Rappelons-nous d’ailleurs cette parole de Miloscz : "L’initiation commence avec l’Amour". Il s’agit moins d’apprendre que de percevoir.
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Tu connais le rouge intérieur
et la mort incertaine du sphinx
les oscillations souterraines
les obscures gestations dans la citadelle
lisse et heurtée comme nos jours
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Pour le dire il faudrait
des siècles de folie titubant dans la neige
mille fenêtres ouvertes sur les ténèbres perlées
où règne l'utopie du désir
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Mais nous sommes au-delà du philtre
- la saveur de cette coupe de sang noir
avec ses caillots et ses puits de lumière
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Entre ce poème inédit et le précédent, vingt cinq ans ont passé. Beaucoup de voyages, en Asie surtout, avec des stages dans des monastères, sans perdre de vue l’Occident. Le courant de tradition hermétique entre les Celtes et l’Asie n’a jamais été coupé. Discipline du vide de l’ego, ou du non-moi, telle que le suggère le poème ci-dessous :
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Roide éveil dans l’engourdissement de la menthe
Foudroyant midi des serpentaires
Cœur battant comme une porte au bord du gouffre
Navigation hermétique dans la nuit sans chemins
Murailles mouvantes tours de sable
pierres volantes demeures d’oubli
Besognes obscures  danse des atomes soumis
Jeu étincelant des divinités sur les crêtes
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Enfantement prodigieux de la géante
couronnée de soleils
Echine nue des étoiles débusquées
Fresques vivantes sur l’écran du vide
 (…)
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Circé nous fait participer à un envoûtant rituel de magie cosmique :.
Enclumes et sirènes
linges obscurs
Et ce ruissellement d’oracles dans l’iris du temps
où la pomme d’opium étincelle
Le signe de la bête trapue se love
dans les strates profondes de la nuit
dans la lueur inverse de l’insomnie
Souvenir arborescent du rapace
qui se débat
dans la chevelure de la rose des ténèbres.
 .
Pierrette Micheloud. Construire - 19 Décembre 1979

Caroutch, érotisme de brûlure, de lagunes ou visions cosmiques.
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Jean Breton, La nouvelle poésie française (Poésie 1, N° 64, 1979)


Yvonne Caroutch, du pays d’Armor, de lointaine ascendance mongole, sur les traces de ses ancêtres refait l’itinéraire initiatique, rejoint l’intuition des origines.  Dans la simultanéité du voyage intérieur et des découvertes longtemps subodorées, chaînant des confins contraires, en harmonie  quasi biologique avec la figuration de l’Insaisissable, Caroutch sait des dragons qui dévorent et régénèrent, et le « dieu blanc », victime de ses propres charmes. Elle aime à dire, hors du temps, Wagner ou Meyrink, tant d’autres pôles d’attraction balisés de textes beaux comme des lampes au fond de ses labyrinthes. Déjà l’enfant-Caroutch, le poète de seize ans, voyait tomber des masques sur la mappemonde magnétisée de la planète.

Eros et la Mort, rivaux extrêmes, s’étreignent, telle une anamorphose dans un tableau de Hans Holbein.

Claude Hartman - Les grands courants de la Poésie actuelle  (Intermuses, N° 8, 1980)
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Filippino Lippi

POETES ININTERROMPUS
(Vidéos Poémonde)
Forum des Halles, salle168 - 7 Juin 1980
Vidéo de 30 minutes sur F. Yvonne Caroutch (par Claude Herviant)
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TENTE COSMIQUE
Editions Le Point d’or
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…Dans sa Poétique de l’espace, Gaston Bachelard rendait déjà hommage aux premiers poèmes de Francesca Yvonne Caroutch, encore dans son très jeune âge ; les images de ses Veilleurs aidaient le vieux philosophe à s’éveiller à l’aube, de son propre aveu, et à métamorphoser les rumeurs matinales de la Place Maubert, près de laquelle il demeurait. Signalons que le poème préféré de Bachelard a comme noyau la vacuité (La ville a des rumeurs de coquillage vide), et qu’il est cité dans le chapitre de cette Poétique consacré à la cosmisation de la demeure et de la hutte qui, comme la tente, "reçoit sa vérité de l’intensité de son essence, l’essence du verbe habiter", de sa solitude centrée, "d’où rayonne un univers hors de l’univers et qui, de dépouillement en dépouillement, donne accès à l’absolu du refuge."

L’ami de la jeune poète se doutait-il que, plus tard, celle-ci nous donnerait deux recueils inspirés par la même thématique, Tente cosmique et Vacuité de la tente ?  Il serait difficile de trancher entre le cas d’une subtile prémonition de la part de Bachelard, souvent coutumier du fait, ou bien d’une injonction secrète à laquelle Caroutch ne demandait qu’à se soumettre. Mais il est presque certain que ces deux suites de poèmes d’une grande densité n’auraient pas vu le jour si elles n’avaient été longuement nourries par un essais sur la symbolique de la Tente (archétype du mandala).
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Les patientes recherches de Caroutch qui la conduisirent maintes fois en Asie - où elle éprouve périodiquement le besoin de se ressourcer - eurent comme point de départ la tente qui absorbe la Dame à la licorne dépouillée de ses bijoux, dans la tapisserie nommée "A mon seul désir" (Musée de Cluny). Bel exemple où la poésie entremêle ses fils d’or à la trame et à la chaîne indissociables du quotidien et de ses symboles, des travaux et des voyages, de la quête spirituelle et de l’amour.
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Nous avons relevé de nombreuses traces de visions dans lesquelles la tente est reine, depuis les poèmes d’adolescence jusqu’au long poème en prose intitulé Hiver1584, qui figure dans le Cahier de l’Herne consacré à Gustav Meyrink (ce pourquoi Caroutch, maître d’œuvre de ce volume paru en 1976, préféra signer ce texte de l’un de ses pseudonymes, Waclav Zelenca.)
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La tente est également présente dans le double volume que Caroutch réalisa pour les Editions Obliques : n’est-ce pas sous la tente, dressée sur un bateau emportant la fiancée du roi Mark en Cornouailles, qu’a lieu la rencontre de Tristan et Isolde, et qu’ils y boiront le philtre d’amour au lieu du philtre de mort ? (…)
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Les poèmes de Caroutch qui ponctuent cet itinéraire nous suggèrent toutes ces données et bien d’autres encore.
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L’impermanence étincelante des langues de feu
parfait l’impermanence des jours
tisse et détisse profondeur largeur et surface
dépouillés de nulle mesure.
(…)
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Aurores, Juin 1982



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 …Blottie dans un flamboiement d’ombres, jouxtant des rocs et des végétations juteuses, environnée d’humus et d’astres, dans la densité d’images rares, elle creuse "l’énigme tigrée qui somnole / au cœur du monolithe". Contrastes, dans la constellation du Verseau, elle ensemence le grain de vie baignée d’eau lunaire et bouscule la mort dans le regard d’esprits traversés de leurs doubles.
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Déjà, l’enfant-Caroutch, le poète de seize ans, voyait tomber des masques sur la mappemonde magnétisée de la planète.
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Claude Hartman  Créations, 1983
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Aert de Gelder


Yvonne Caroutch tisse patiemment son écriture, à points serrés d’un mouvement continu, comme si le temps ne comptait pas.
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C’est une semblable démarche qui lui fait intérioriser ses impressions, enregistrer ses expériences, avec le souci que rien ne s’estompe ni ne s’oublie.
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Au gré de son désir, selon la couleur des jours, elle puise dans ce pêle-mêle les émotions et les souvenirs dont elle a besoin – comme une brodeuse assortit ses soies – pour remodeler son paysage et le faire revivre tel qu’en elle-même elle le porte.
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Par le sortilège des mots et des rythmes, le poème révèle et fixe les éphémères et invisibles beautés des heures qui passent. Il est l’autre face de la vie – celle des initiés – la seule qui soit désirable.
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Visages de l’écriture. Claudine Helft. Editions du Hameau,1985



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VOYAGES DU DOUBLE
Éditions Rougerie et l'Arbre d'Or
Préface de André Pieyre de Mandiargues
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Supernova
Photographie de Margo Berdeshevsky
Préface à VOYAGES DU DOUBLE
par André Pieyre de Mandiargues
 
…Je reçus d’une inconnue une petite plaquette de poèmes intitulés SOIFS, que je rangeai avec soin parmi mes livres parce que j’avais décelé une sorte d’originalité déchirante, point très éloignée de la manière d’Eluard, apparentée avec le surréalisme de jadis - sans aucune soumission à ses consignes. Selon le feuillet de la prière d’insérer, la poétesse avait alors dix-huit ans. La plaquette se trouve toujours dans ma bibliothèque, mais il me semble n’avoir rencontré son auteur que beaucoup plus tard, ne lui avoir dit que peu à peu mon admiration, au fil de ses publications, de plus en plus nombreuses, tandis que s’accroissait aussi mon amitié à son égard.Seize recueils poétiques ont paru qui, portaient son nom, tous dignes, à mon sentiment, d’une chaleureuse approbation, et je ne puis m’empêcher de dire qu’écrire des poèmes me semble être, pour Caroutch, — aussi évident, tout en restant aussi compliqué — que vivre. Tout simplement. Aussi indispensable à la vie, dirai-je encore, que l’afflux du sang à son cœur.Dans l’actualité, un phénomène qu’autant qu’il m’est possible je voudrais saluer et souligner est l’apparition d’un nouveau recueil, le quinzième, important à tous points de vue, d’abord parce que la jeune femme a modifié son prénom, ajoutant à celui d’Yvonne celui de Francesca, comme pour marquer une transformation de son existence, et puis surtout parce qu’il est composé uniquement de poèmes en prose, genre plus difficile à manier que le vers blanc, et dont l’accomplissement témoigne d’une plus sûre maîtrise du langage. Le titre, Voyages du double, n’étonnera aucun lecteur de l’œuvre de Caroutch, car la connaissance du savoir initiatique à laquelle il est fait allusion apparaît en progrès constant de l’un de ses ouvrages au suivant. Je crois que cette œuvre est également un hommage rendu à la véritable patrie de Francesca, le Tibet.Aisé à comprendre, le premier poème n’est-il pas une description et explication du travail du poète en prose ? Sans doute, et à ce propos, j’en voudrais citer non pas le texte entier mais quelques extraits, comme un résumé de l’essentiel :"Au début, ce ne sont que mots lointains, poudrés de givre, inhabitables... D’autres brûlent au nœud de la gorge muette. Alors la dictée de l’obscur peut prendre son envol. Gîte amer et ventre fidèle aux étincelles du doux supplice. Encore captive des limbes, l’ivresse des commencements. Dégelant l’espace solidifié, voici ton corps plus vaste que la terre et qui fend des pluies d’étoiles. Décantée, la parole nue est un justicier qui marche sur un fil au-dessus de l’abîme."Dans cette décantation du verbe, on aura reconnu l’application au langage et particulièrement au court texte en prose, matière parmi les matériaux les plus difficiles à dominer, un procédé alchimiste, et dans les opérations verbales qui constituent le noble ouvrage, autant de mémoriaux des divagations concrètes du poète sur autant de hauts lieux de notre planète, avec une mention particulière, sans doute, pour l’Himalaya et le Toit du Monde. Une capacité absolument exceptionnelle d’invention et de mise en œuvre des métaphores pare tous ces « mémoires » d’une illustration d’images poétiques dont la richesse exalte le lecteur qui, page après page, la découvre. De telle exaltation, que j’ai ressentie longuement, je veux ici. rendre grâce à Francesca-Yvonne Caroutch, dont le talent est très grand.
André Pieyre de Mandiargues
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La montée vers l’Empyrée. Jérome  Bosch
Palais des doges, Venise

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…Voyages du double. Ou voyages du dehors et du dedans, avec une merveilleuse lucidité, la force du Saint Esprit et l’attrait de Lilith. Avec aussi, pointe André Pieyre de Mandiargues, un talent très grand. (…)
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Robert Amadou. L’autre monde, N° 118 - Juin 1989
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Ce livre se place dans la ligne de Tente cosmique, publiée jadis aux éditions Le point d’Or. Il décrit les grands voyages intérieurs qui correspondent parfois à des déplacements dans l’espace, parfois à des déplacement dans le temps que l’esprit essaie de capter par ou pour un poème.
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Au début, ce ne sont que mots lointains poudrés de givre, inhabitables. Les guetter entre veille et gouffre, qui taraudent dans le demi-sommeil, qui suintent lentement, qu’il faut recueillir goutte à goutte, mesurer au fléau d’impalpables balances.
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Si le lecteur n’a pas approfondi tel ou tel enseignement ésotérique, il ne pourra goûter tous les parfums secrets de ce mince recueil, mais l’intuition d’une vie supérieure à la vie, d’un esprit dépassant notre esprit suffit pour aimer ces textes en prose rédigés d’une main sure. André Pieyre de Mandiargues ne s’y est pas trompé, qui loue dans sa préface le talent et le savoir de l’auteur.
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Il faudrait un autre livre pour commenter celui-ci, en éclairer les demi-teintes et en montrer l’unité profonde : haut lieu où les entreprises fascinantes et dangereuses du tantrisme sont épurées par la contemplation du Vide, même quand, dans l’univers profane, "les fleurs de feu ouvrent tout grand leurs corolles".
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Georges Sédir. Phréatiques N° 50 - Automne 1989
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Pour remonter à la source qui émet le réel, Yvonne Caroutch (Bestiaire d’éveil, Rougerie) se confronte aux mythologies, aux religions, aux errances…La philosophie bouddhiste, la métempsycose, les vies antérieures, « l’identité » et la « vénération » des contraires entraînent ses effusions. Nature profonde, grands rapaces, sexualité avide habitent ces poèmes à l’écriture de plus en plus sobre et qui dégagent une étrangeté. Le Tibet et Jérusalem parfois coïncident. Poésie de culture, de curiosité et de passion…

« L’appel du bouc » balance la  recherche de l’unité perdue au Paradis (« le goût de la pomme d’avant la morsure »). Tapisserie, galerie  fantastiques : « licorne aveuglante », phénix, mante cosmogonique, furet galactique bougent dans une projection jamais passéiste.

…Il s’agit de faire éclater l’idée du temps. Tout vit, les objets inclus, et participe du Grand Tout. Nos poussières forment l’espace. Le poète demande au grand Organisateur de lui apprendre à bivouaquer aux frontières de l’impossible, là où règne l’Imagination seule.
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Jean Orizet (Poésie I, Vagabondage.  Almanach des poètes,1984)
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Ce que les initiés nomment le voyage du double était réputé être l’œuvre des sorcières. En voici une alors qui témoigne, à mots à peine couverts, des conditions dans lesquels cette faculté, autrement dite « télé-transportation du corps astral », offerte à tous, à quelques-uns est donnée, au cœur de l’expérimentation tantrique de l’amour. La vérité qui jaillit de ces expériences est d’une simplicité proprement impensable et pourtant elle ne cessera jamais d’être totalement inexprimable.Seule la poésie peut s’y essayer quand elle induit, par exemple, qu’il est opportun d’accepter de nourrir et de se nourrir de « la rosée des migrations, l’énergie de la nébuleuse dont tout émane et où tout retourne », ou qu’elle constate que « les plus fines nervures électriques des amants (sont) reliées aux constellations dont la lumière ne nous atteindra que dans vingt mille ans ». Les poèmes de Francesca Y. Caroutch témoignent du chemin qui conduit à la communion aux « vibrations de l’énergie à l’état pur » et de ce double, « minuscule graine, humble comme le jardinier des simples, » qui sait se déployer et voyager « dans l’étendue illimitée ».
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Philippe Camby. L’Arbre d’Or, 1998

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BESTIAIRE d’EVEIL
(Editions Rougerie)
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…Le Bestiaire d’Eveil est très beau. Mais il est terrible – comme de tomber entre les mains du Dieu vivant de la Bible… Vous nous entraînez dans le cercle, vous nous exaltez la tangente. Vous nous secouez. Contre le sommeil. Merci….
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Lettre de Robert Amadou 17 Novembre 1984
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… J’ai lu encore une fois votre Bestiaire d’éveil sans en perdre une parole, du début à la fin.
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           Lettre de André Pieyre de Mandiargues. 11 Mars 1985
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La Parisienne d’origine mongole oscille entre le rêve et l’amour tellurique. La tentation alchimique lui propose un apaisement dans l’union des contraires. Lire La Voie du Cœur de verre (1972), Bestiaire d’éveil (1984) et Voyages du double (1988), où le préfacier André Pieyre de Mandiargues souligne sa «capacité absolument exceptionnelle d’invention et de mise en œuvre des métaphores.»
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Régine Desforges (Poèmes de Femmes, 1993, Editions du Cherche Midi)
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Eros, Pier Paolo Piccinato


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…Pour Yvonne Caroutch, la poésie, sel de la vie, est alchimie verbale et spirituelle On comprend qu’elle ait écrit des nouvelles fantastiques. Nous sommes dans un lieu bizarre, entre notre monde et l’au-delà. Jean Grosjean a dit les rapports de cette poésie avec la construction musicale.

 …C’est là un poète habité, de haute authenticité, absolument original.
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 Robert Sabatier - La poésie du vingtième siècle (Ed. Albin Michel, 1988)

 
 Consolata Radicati (Jardin de l'âme)
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Ce n'était pas rien qu'elle
         Que brûlait la bougie
Mes voeux tout chaleureux.
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Lettre de Guillevic, 5 janvier 1988
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Guillevic
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(…) Elle a dix sept ans ! Et c’est une révélation : l’avènement d’un vrai poète ; du surréalisme à l’état pur, malgré sa "fureur tranquille d’aimer." Caroutch est un pur produit de l’émancipation des femmes. La première de sa génération à se mouvoir à l’aise dans les émeutes de miroirs, à crier son inquiète joie de vivre… Erotisme ? Oui ; mais un érotisme magique, où rien n’est précis, où tout se meut dans la lave d’un volcan à peine esquissé..
Nos deux corps voyagent dans une nuit sauvage
dans une opacité de pluie d’orage
Chaque pulsation de ton sang
ranime une croyance fugace
comme une terre promise
(…)
                                                                       .
Pierre Béarn : L’érotisme dans la poésie féminine
(Ed. Jean-Jacques Pauvert - 1993)
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Bernini, San Francesco a Ripa. Rome. Photographie Arnaud Frich
http://www.arnaudfrichphoto.com

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Francesca-Yvonne Caroutch (poète d’origine mongole) n’avait pas dix sept  ans, et sa voix portait déjà si bien que Luc Bérimont pouvait voir en elle l’un des deux évènements de l’année littéraire, l’autre étant Françoise Sagan. En vers comme en prose, Yvonne Caroutch s’exprime en de fortes et singulières images. L’angoisse, le fantastique, l’amour, la blessure du temps, l’onirisme habillent cette poésie comme autant de forces incantatoires. Une poésie qui régénère les strates vives du langage et de l’existence. Caroutch est, assurément, l’une des plus grandes voix féminines de la poésie contemporaine, avec Joyce Mansour, Thérèse Plantier ou Claude de Burine. Quelques titres: Les veilleurs endormis (Ned), L’oiseleur du vide (Structure), Paysages provisoires (Mica), Lieux probables (La fenêtre ardente), Le gouvernement des eaux (Christian Bourgois), La voie du cœur de verre (Ed. Saint-Germain-des-Prés), La fête hermétique (Ed. Saint-Germain- des-Prés).
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Jean Breton. Les hommes sans épaules.
(Introduction à un choix de poèmes. Cahiers littéraires.  17/18. 2004)
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Encore lycéenne, Caroutch dédia secrètement son premier recueil, SOIFS, à son ami François Augiéras. Elle se situe exactement aux antipodes de Françoise Sagan. Fuyant les projecteurs,  elle n’apprécia guère la comparaison.
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Francesca-Yvonne Caroutch
 
par Gérard Paris
 
 
 
... Les métamorphoses du temps et de l'espace, le fantastique et le spirituel, le désir et la peur, sont les composantes du style d'Yvonne Caroutch. 
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Rejoindre ce point d'or qui perdure 
avant le passé  après l'avenir  
ce lieu où le temps n'a plus prise  
son noyau de vide émerveillé  
comme le franchissement d'un porche   mystérieux  
qu'ouvrent les caresses donnant sur l'infini. (Demeures du Souffle) 
 . 
Yvonne Caroutch se charge de désintégrer les atomes, en véritable chasseur de mirages, car elle se situe dans les interstices de l'espace et du temps : 
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L'habiter à travers les fines fêlures dans les filigranes de l'espace-temps. (Voyages du Double) 
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    Le poète possède une sorte de don, de génie pour inverser les rôles; ainsi ce n'est pas l'homme qui va au-devant de l'univers mais c'est l'univers qui investit l'homme, le transforme, le métamorphose : 
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Lorsque tous ses canaux s'ouvrent et que l'univers s'engouffre dans son corps  
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cet homme découvre avec stupeur la terrible  
radiance du vide, éblouissant, de la vie. 
(Voyages du Double) 
. 
    Dans cette intercommunication entre l'espace cosmique et notre monde interne il n'y a ni frontière, ni voix d'échange bien précise mais il faut: 
. 
Aimer les espaces interstellaires autant que le coeur des hommes. 
(Voyages du Double) 
. 
Gésine dans les entrailles du temps immobile  
qui ont la face noire du chaos  
mais aussi celle de son essence lumineuse. (Demeures du Souffle) 
. 
    Là surgissent dans les poèmes d'Yvonne Caroutch des différences notables entre gisements de la mémoire et épaisseurs du mythe, Mythes que le poète s'est chargé de briser - comme on brise ses jouets - pour mieux les reconstruire, les revivifier à sa manière. Bannis les souvenirs d'enfance ( les souvenirs ne tintent plus dans la musette d'enfance ), il faut se consacrer à l'instant, au réel, au vivant : 
oubliant le présent blessé / la quête sans graal / sentir les nervures exactes du réel. (Demeures du Souffle) 
 . 
     Même si le réel s'imbrique, s'osmose parfaitement avec les muscles de la mémoire, tout se compose et se forge dans le Théâtre des fractures de la durée que l'on ressoude à grands renforts d'étincelles et de métaphores (Portiques du Sel) 
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    Là, temps fixe (mémoire) et temps altéré (mythologies) s'unissent pour un ruissellement d'oracles dans l'iris du temps... (Portiques du Sel) 
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    Le fantastique prend deux aspects différents et qui se complètent : le merveilleux et le surréel. D'un coup de baguette magique Yvonne Caroutch transforme les étincelles en une fontaine de lueurs : 
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Pendant ce temps la fée désincarnée 
brise la prison d'air du sombre enchanteur 
Une seule escarboucle du feu de la terre  
et la voici toute embrasée  
transformée en fontaine de lueurs (Bestiaire d'éveil) 
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    Rentrent aussi en jeu l'amande qui d'amère devient douce, la licorne qui s'enchevêtre avec le merveilleux au point d'en être le symbole : 
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Le merveilleux fait des bonds de licorne farouche. 
(Voyages du Double) 
. 
    Plus loin encore, dans le creux du poème, la licorne rejoint le royaume divin: 
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Fée des glaces la licorne laboure le champ des écritures divines. 
(Voyages du Double) 

    Mais ce fantastique se manifeste d'une manière plus abrupte, sous un éclairage surréel : alors s'amorcent les métamorphoses, les anamorphoses, tout ce qui concourt à créer ce climat propre au fantastique ; les visions de nudités s'entrechoquent avec les molécules et les cristaux dans un gigantesque spasme cosmique : Alors l'homme du seuil trace la calligraphie de la mort sur la feuille vierge de son destin - écriture droite et nue comme la blanche pensée de la nuit. (Voyages du Double)
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    Les plus mystérieuses transformations s'effectuent, témoignant de la plus étrange alchimie : Au seuil du jardin / tes clefs sont des serpents accomplis / devenus aigles de braise / dépouillée de toute croyance / la source ne saurait mentir. (Demeures du Souffle) 
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    Les galaxies, les constellations s'unissent dans le cosmos, elles jaillissent, parfois, de l'utérus ou de la matrice éblouie, les prophéties de la chair se marient avec l'accouplement des chiens : L'angle vif de l'éternité / rêve de boues fondamentales /Plus vite vers le bas /disent les chiens accouplés dans le vide / La voyance de la chair les font taire (Bestiaire d'éveil) 
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    Si le fantastique constitue l'un des moteurs des poèmes d'Yvonne Caroutch, il s'allie aussi volontiers au spirituel : Il revient toujours / ce fils de la chimère à vif / Il ignore que les vautours futurs / transmuteront tous les venins / Il creuse les racines de l'être. (Demeures du Souffle) 
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    Ainsi le poète sculpte son vertige, dans un tourbillon d'impermanence - il persévère dans son décryptage de l'absolu car son ambition secrète est de : Se rejoindre à la jonction des souffles / où le temps s'abolit / découvrir l'autre en soi (Bestiaire d'éveil) 
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    Dans les béances du temps, sculpté par le vent, l'être forge sa demeure : Demeure sans felure au bord de l'être, au bord du vent / aussi pure que l'étincelant burin du zénith (Bestiaire d'éveil) 
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... Le désir prend, suivant l'humeur du poète, différentes teintes. Tantôt c'est un désir écartelé comme une rose où le poète nous entretient des cendres du désir noircissant la montagne ou en d'autres circonstances le désir est symbolisé par une enclume chauffée à blanc ou bien encore ce sont ces utopiques cités du désert qui meublent nos fantasmes, nos obsessions. 
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    Adjoint au désir, en corollaire inévitable, figure la peur : Cris pétrifiés dans la baie / respiration démesurée de l'hyène / qui ôte et rend le don de folie (Bestiaire d'éveil) 
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... Le poète prend son lecteur à parti, lui communique ses peurs, c'est un poète habité qui transmet ses pulsions, ses émotions : Nous hantons les brûlots hasardeux, le feu criant au sein de l'eau cruelle, la passion semblable aux repas de pierre incorruptible, au faciès de la beauté marqué par la foudre. C'est la raison pour laquelle l'homme de diamant erre toujours dans les immensités, un couteau à la main. (Voyages du Double) 

... Ce qui frappe dans les recueils les plus anciens comme Bestiaire d'éveil ou Portiques de sel, c'est l'absence totale de ponctuation, seules les majuscules introduisant parfois une rupture dans la continuité du poème. L'usage du tutoiement, des impératifs apporte, quant à lui, plus de dynamisme, mais aussi un ton plus intime dans le poème. Ajoutons à cela la suppression des articles au début des vers, mettant en valeur le mot isolé. Le vocabulaire étonne par l'usage intensif des oxymores tels les dieux sordides, les mendiants éblouissants, le cristal musclé ; si Yvonne Caroutch joue très habilement du clavier des émotions, elle nous entraîne dans un autre temps, un autre lieu, touchant à la fois le fantastique et le spirituel, nous incitant à révéler notre for intérieur car Les dieux nous parleront face à face lorsque nous découvrirons notre véritable visage. 
(Voyages du Double) 
 

Gérard Paris
Paru dans le n°30 de Parterre verbal

. RÊVER L’UNIVERS
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Le "je" cosmisant
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Nous entrons dans le règne du cosmisant. Nous revivons, grâce au poète,
le dynamisme d’une origine en et hors de nous.
Un phénomène d’être se lève sous nos yeux.
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             Gaston Bachelard (La poétique de la rêverie)
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Je connais une excellente rêveuse d’univers. Francesca Yvonne Caroutch a choisi de s’abriter sous une Tente cosmique, titre d’un recueil publié en 1982 (Le point d’or). Elle y évoquait « l’être dont chaque atome est une étoile ». C’est, je le suppose, en pensant au Big Bang qu’elle écrivait :
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          Boire goulûment  à ta mémoire de source étoilée
          Capter la vibration éternelle
          Sous les os muets drogués de lumière archaïque
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 A l’époque, seul un pressentiment pouvait lui faire écrire :
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          Bois l’élixir de ce grand corps de lumière
          Son inconscient constellé
          Qui fascine les cascades d’univers
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Nous pourrions voir  aujourd’hui dans  ces cascades une  allusion  à   « l’univers plasma », capable de multiplier les univers temporaires comme le nôtre et d’entretenir ainsi un fleuve éternel sans origine définie et sans embouchure prévisible.
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Comment ne pourrais-je pas reconnaître Yvonne Caroutch comme une sœur dans l’étonnement ? Un étonnement bien terrestre, d’autant plus humain qu’il se tourne vers les plus vieilles énigmes du TOUT qui abrite, nous constitue et nous anime.
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          Pôle magnétique de la question
          à la virginité sans cesse renaissante
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Son «  je » est sans doute cosmisant, parce que chaque atome de sa chair est une étoile…Mais surtout, comme le dirait Bachelard, son espace est un « médiateur plastique » entre l’homme et l’univers.
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 Maurice Couquiaud
Aujourd’hui poème, Numéro 72, juin 2006

Guidoriccio da Fogliano, par Simone Martini (Sienne, 14° siècle)
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LECTURE DE GERARD PARIS
Francesca Yvonne Caroutch
CIEL OUVERT  (Ed. Encres vives)
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Dès 1954,  Francesca Y. Caroutch a alterné la publications de romans - Le Gouvernement des eaux, Chromatismes, Le grand transparent et le grand écorché - des essais sur Ungaretti, des Entretiens avec André Pieyre de Mandiargues, un Panorama de la littérature fantastique - même si elle demeure avant tout poète, avec quelques titres significatifs: Les Veilleurs endormis, L'oiseleur du Vide, La Voie du cœur de verre, Tente cosmique, Voyages du double, Vol de la vacuité...
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Sous l'égide de Gaston Bachelard (l'eau, la terre, l'air, le feu) et d'Héraclite l'obscur  (la loi des contraires), Francesca Y. Caroutch entreprend un cycle de transmigrations et de transmutations dans la  phosphorescence du lieu et du temps (temps torsadé, sublimé, suspendu, aboli). Dans la soie des voyages, dans les cycles du désespoir, dans l'huile des songes, dans l'impermanence, tout se crée et tout se dissout dans la grande farce cosmique.
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Utilisant, comme un serrurier de l'oracle, les rites aux clés archaïques, le poète nous mène - par de multiples voies pleines de bruissements, de tressaillements ou de frémissements - dans la fournaise, dans les racines du désir.Usant de divers éléments au contenu symbolique (les cloîtres d'abeilles, les demeures du souffle, la conque, la lampe), le poète , vagabond de l'azur et sourcier de la foudre, s'immerge dans des rêves aurifères (brasiers de joyaux, arches de sel gemme, sciure d'anthracite et d'argent)...
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Plongeant dans le sanctuaire de la nature et dans la grande tente cosmique, Francesca Y. Caroutch voyage, de métamorphoses en anamorphoses, dans des jours de couteaux, d'éclairs, de miroirs.
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   Chaque instant crée le monde
   et patine son mythe
   dans l'oubli de nos métamorphoses
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Dans la matrice déchirée de la terre, dans la grande clarté originelle, merveilleux, fantastique et spirituel se nouent et se dénouent dans la grande soupe primordiale. Alors soudain, pour notre plus grand bonheur:
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     De petits dragons facétieux
     conversent dans l'âtre vide
     Nos sommeils moirés se peuplent
     de palmeraies mythiques
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 Ciel ouvert, à l'ombre de la peur, les yeux murmurent dans la prunelle du vide.
 
Gérard Paris
Verso, 129 (2007)

Anges au-dessus de Sarajevo, photographie de Evgen Bavchar
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Francesca Yvonne Caroutch
ou Les mots sacrés qui guérissent
Par Jean-Luc Maxence
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...Francesca Yvonne Caroutch considère, à juste titre, la poésie comme l'un des derniers refuges du sacré. Jean Rousselot et Luc Bérimont saluèrent ses premiers recueils avec enthousiasme. Robert Sabatier parle, à propos de son oeuvre, d’alchimie verbale et spirituelle. Le maçon Serge Brindeau évoquait une angoisse surmontée, des allégories impossibles à décrypter, un univers peuplé de breuvages enchantés et de démons contradictoires.
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F. Y. Caroutch, qui écrit de la poésie depuis ses années de lycée, a su en faire une nourriture quotidienne. Au fond, son univers symbolique propose des mots de passe qui guérissent l'âme, des mots qui dansent et que l'on partage fraternellement. L'un de ses derniers recueils parus, Ciel ouvert (Encres vives), proclame avec force et magie:
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    Du dialogue au fond du noir
    naît la claire lumière
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Cette croyance intime, au fond d'inspiration très maçonnique, lui fait chanter:
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   l'éblouissant retour d'une semence
   dans les entrailles de l'avenir
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L’œuvre poétique de Caroutch, traduite en anglais, en italien, en japonais, même, considérée dans son ensemble, est un hymne aux symboles qui font vivre et réunissent souvent la bas (la Terre) et le haut (le Ciel). Le grand Gaston Bachelard, dès ses premiers vers, écrivait de cette passionnée des mythes fondateurs: "Je note cette nuance délicate de l'imagerie bienfaisante: Caroutch, avec Les Veilleurs endormis, entend l'aube citadine quand la ville a des rumeurs de coquillage vide. Cette image, elle m'aide, être matinal que je suis, à me réveiller doucement, naturellement."
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Egalement essayiste de talent, auteur d'un Ungaretti dans la collection Poètes d'aujourd'hui (Seghers), Caroutch a su aussi étudier Le mystère de la licorne, à la recherche du sens perdu (Dervy). Nous aimons quant à nous sa façon de chanter une éternelle "action de grâce du silence" et "l'espace devenu musique". Comment en effet ne pas saluer ici, justement, dans "La Chaîne d'Union", une femme qui proclame à la face du monde:
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    Chaque grain de lumière
    est une terre promise
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Avec ou sans tablier, comme on dit, elles sont rares, les sœurs qui savent dire:"l'exacte épure du désir" répondant "au cloître des abeilles", surtout lorsque "dans le mortier du temps, des fées microscopiques agitent des cristaux, au pied de la lune"?  Raison de plus pour s'en réjouir.
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Jean-Luc Maxence
(La Chaîne d'Union, 2007)

Quelques travaux universitaires sur  la poésie de CAROUTCH
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Mémoire de maîtrise de Danièle Monate
Université de la Sorbonne nouvelle. Paris III Censier. 1974
(Sous la direction de Michel Decaudin)

Etude de Camille Aubaude, dans POESIE DE FEMMES - Juin 2001
Extrait - Les lectures d’Yvonne Caroutch
 
"Je n’ai pas de poétique à vous proposer" annonce Christa Wolf dans une "conférence de poétique". Elle constate, dictionnaires à l’appui, que la femme n’en "possède pas", reprenant avec force et virulence le discours dominant qu’elle entend subvertir. Les poétesses du XXè siècle sont encore vouées à agir en tant qu’éternelles mineures, égarées dans le tohu-bohu d’œuvres sans repères, à l’heure où la maternité ne peut être qu’une fonction naturelle, et jamais un lien spirituel, comme l’illustre le cas archétypal de Danièle Sarréra [1][13]. L'existence d'une "grande poétesse" contrarie et provoque. Elle est inévitablement rejetée, et les manuels scolaires autant que les anthologies soulignent le manque de signification des œuvres féminines ou les confinent dans des ghettos.
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Une de ces poétesses, Yvonne Caroutch, témoigne de sa différence en recourant aux mythes féminins [2][14] et en se penchant sur les textes de femmes qui les ont illustrés. Grande oubliée de l’Anthologie en trois volumes de la poésie du XXè siècle des éditions Gallimard, elle a édifié pierre à pierre une poétique égrenée dans  Bestiaire d’éveil, dans  Demeures du Souffle,  Voyages du Double, Vol de la Vacuité et d’autres recueils inscrits dans la lignée des trobairitz et des Fidèles d'Amour. Et elle a publié plusieurs essais sur le mythe de la Licorne, dont le Livre de la Licorne (1988), où elle s’engage dans le commentaire pour livrer une interprétation personnelle. Cette figure transcrit une quête spirituelle, c'est-à-dire l'approche de l’énigme de nos origines, par la voie d’un retour à la non-dualité, à la clarté originelle.
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Dans une langue épurée, Yvonne Caroutch renoue avec des personnages disparus de la Renaissance italienne, grâce auxquels elle élargit la sphère de sa réflexion et le champ de son expérience. Dans un jeu de va et vient entre la lecture et l’acte d’écriture, elle perpétue la tradition d'une parole féminine où tout fait corps. Elle redécouvre des femmes oubliées, toujours celles dont les œuvres cristallisent des préoccupations intenses. Mue par un sentiment de sonorité féconde, elle explore leur langage, leur image et leurs doutes. Ce n’est pas un des moindres intérêts de ce processus de retrouvailles du monde intérieur, dans des vers ciselés par une ferveur étrange, que de tisser un réseau reliant des personnalités féminines à une parole poétique fondée sur la connaissance.
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« Consience béante et bleue de l’éther/fulgurance de diamant noir » [3][15], la poésie d’Yvonne Caroutch, nourrie par les métaphysiques orientales, divulgue également des lectures de femmes alchimistes, telles que Christine de Suède, dont la démarche alchimique est plus technique que poétique, ou Dorothée Wallichin de Weimar, dont les textes codés, d'une grande densité ne sont pas entièrement traduits en français. Il n’est pas de texte originel sans interprétation. À partir de ces sources, Yvonne Caroutch sait donner des accents lyriques aux principes alchimiques, les convertir en une célébration de quelque chose qui ne passe pas et ne meurt pas. Bianca Capello, l'épouse de Francesco Primo de Médicis, dont les écrits ont été détruits par les Médicis, l’a beaucoup inspirée, en particulier pour les jardins alchimiques qu’elle a fait construire avec son époux à Pratolino. Pour parachever cet espace de mémoire, Yvonne Caroutch donne aussi son interprétation des femmes alchimistes de l’époque alexandrine, dissimulées, dans les dialogues alchimiques, sous les noms d’Isis, de Cléopâtre et de Marie.
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L’étude de l’alchimie culmine dans le recueil intitulé Tente cosmique, trente poèmes qui diffusent l’alchimie ténébreuse de la "parole inutile", du lyrisme, de l’orient mélancolique et de la quête initiatique :
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"Nature vide de toute nature
pétrifiée pourtant tourbillon
Invisible le paon sidéral
pivot fou de l'enfance
Hauts pétales et pistils
dans le charnier des choses dites
Pulsions de la divinité cristalline
dans le lac de saphir étoilé
L'air palpite dans la maison de caresses
Terrassée par les joies éphémères
dont la texture est le vertige qui se tait
Joies sphériques et vagues de dons
du sentier qui murmure "suis-moi"
Taches ingrates fagots obscurs
Qui embraseront les nuits blanches
le cours des astres des saisons
incapables de réfléchir
Déploiement des grandes images vivantes
jamais venues jamais parties
dans le vivier inaltérable
Tympan secret pour le tantra du sol
et de la parole inutile » [4][16].
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Ces références sont distillées avec la clairvoyance et la finesse qui siéent aux esprits passionnés, aux explorateurs de mystères et aux amateurs d’invention. Loin de s’afficher de façon dogmatique, elles s'infiltrent et se diffusent dans les poèmes. Là est sans doute le propre - et la difficulté pour le commentaire - des lectures assumées par les poétesses. La dilatation des sources livresques fait partie intégrante du travail poétique. L’imaginaire ne fait pas obstacle au savoir. Il est propulsé par l’érudition, par la méditation et la connaissance de soi. Pour Yvonne Caroutch, il ne s’agit pas de dire : "Telle est mon interprétation", mais de transmettre une expérience initiatique, le chemin d’une conscience éprise de beauté,
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"[…] pour annoncer les épousailles
de l’âme obscure des rivières
et de nos soifs multipliées"  [5][17].
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Camille Aubaude, docteur es lettres
(Le mythe d’Isis et le voyage en Egypte de Gérard de Nerval)
www.camilleaubaude.com
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(Couverture: Barthélémy van Helst. Musée de Dijon)
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Lectrices, La Littérature au miroir des femmes
Editions EUD (Editions universitaires de Dijon), 2004
(4 Boulevard Gabriel, 21000, Dijon)

 
Licornes du palais de Carbognano (Latium)

LA SEULE IMAGE
(Ciel ouvert)
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En ce fondu dans la lumière du soir les regards se confondent. L'alchimie verbale glisse sa main pour ouvrir les genoux du temps sous l'entonnoir de la lune. Le cosmos se laisse faire, l'être se laisse engloutir. Il relève la robe du minéral et du végétal pour voir dedans et entendre sa vibration.
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F. Y. Caroutch montre, consent afin que le lecteur soit déja presque dans son brasier, ivre de son dévoilement. La poétesse sait tout de lui, c'est pourquoi il se prend à ses mots, à leur neige brûlante. Elle le soulève, elle le tend. Il ne sortira plus de son emperlement. Le lecteur glisse, avance tendrement dans l'arcane du cosmos. Chair à chair, le désir amassé. La braise, le soupir.
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La robe du temps est sur le plancher des vaches. Le monde respire très fort, rappelé à lui-même par les mots à "ciel ouvert". Mais le corps dedans. Sa faille si intime, si chaude, si humide comme une aube. Le gouffre du corps se remplit peu à peu dans le cercle d'une emprise mystique.
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Les mots, au-delà de la mort, au-delà de la vie vont jusqu'à l'épuisement. leur existence trouver la force de vivre contre le peu qu'elle est. Ils acceptent l'aveu, réclament le "scandale". Dans leur lointain existe cette proximité aussi agissante qu'étrange là où.
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Le monde est une lamelle de quartz
insaisissable épaisseur
qui ne fait qu'apparaître
et disparaître inlassablement
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 Jean-Paul Gavard-Perret
Jointure N° 86. Septembre 2007
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Cerès. Bois sacré de Bomarzo, Latium

UNE POETE ALCHIMISTE
 
                                                                                  Dans le palais de l'or du temps
                                                                      être la cible et la flèche
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Tout poème de Francesca Yvonne Caroutch est ainsi à la fois la cible et la flèche, la cible qui reflète et la flèche qui transperce l'univers jusqu'au coeur du mystère.
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Lire une ligne, une page, une strophe, ou même un seul vers de Francesca, c'est accéder au seuil de l'énigme essentielle, celle de notre être-au-monde, toujours dans l'oscillation entre absence et présence.
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En elle, dans son existence comme dans son oeuvre, si vaste et si riche, ne cesse de résonner, au rythme même du mot, le "qui vive !" de la poésie. L'alchimie du verbe que prônait Rimbaud et que les surréalistes ont tenté parfois d'accomplir est spontanément créative dans la pensée et dans les écrits visionnaires et lyriques de cette poète du chant profond.
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Cette adepte des voyages au long cours, qu'ils soient terrestres, de Florence ou de Venise au Tibet ou aux Indes, ou spirituels dans une quête de l'absolu, n'est-elle pas la soeur onirique défiant les lois du temps - de la Dame à la licorne? Elle l'est aussi d'un Giordano Bruno, dont elle sait évoquer fraternellement la grandeur et le sort tragique. Elle fait de même pour le poète toscan des Chants orphiques, Dino Campana, qu'elle a traduit et qu'elle révéla au public français. Dans le poème qu'elle dédie à sa mémoire sous le titre "La passion selon Dino Campana", elle écrit :
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           Lui
           gravisant les crêtes
           seul avec sa mort
           mais si fou de poésie
 .
           Lui
           ignorant que je chemine à son côté
           pouls contre pouls
           attentive à son souffle court
 .
          Je l'ai suivi dans les auberges chétives
          derrière la Place d'Italie
          ses baraques ses roulottes
          ses maigres cavaliers de l'irréel
 .
         Je l'ai désaltéré
         dans la roulotte de mon aïeule
....................................................................
 
Il faudrait citer l'ensemble de ce grand et beau poème. Il faudrait citer tant et tant de beaux, d'intenses poèmes de Francesca Y. Caroutch. Tous nous entraînent vers un domaine à la fois fascinant et inquiétant, et toujours d'une étrange et vive beauté.
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Merci, Francesca, pour votre haute poésie, "dans la transparence des grandes métamorphoses".
 .
 Georges-Emmanuel Clancier  (Octobre 2007)
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Vision secrète du  5° Dalai lama (XVII° siècle)

Sous le signe de la licorne, symbole qui relie terre et ciel, visible et invisible, la poésie de Francesca Yvonne Caroutch constitue un "voyage" à elle seule, une migration des énergies mystérieuses, suscitant chez le lecteur vibrations et ouverture vers "l'étendue illimitée"de l'imaginaire délivré. La poésie de Caroutch trouve sans doute ses origines autour des années  1980, lors de ses pérégrinations en Inde, au Népal, au Tibet, notamment. Certes, l'essayiste Yvonne Caroutch, auteur d'études sur Giordano Bruno ou Richard Wagner ou encore Gustav Meyrink, témoigne d'un certain chemin initiatique incarné, mais ses méditations poétiques s'avèrent une permanente quête de quintessence, dans le sens alchimique du terme. Nous ne sommes jamais avec elle dans une sorte de synchrétisme maçonnique un peu flou et trop facile. Nous sommes plutôt entraînés "dans l'alambic des limbes aux joies torrentielles" quand se consume, en effet, "le vin d'amour que ni vin ni eau ne peuvent éteindre, tandis que le chant du rossignol enchante le miroitement des cascades"..Si l'adjectif "cosmique" convient à quelqu'un, c'est bien à ce poète!
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Anthologie de la Poésie Maçonnique et Symbolique
Jean-Luc Maxence et Elisabeth Viel (Editions Devy, 2007)
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JEAN-PAUL GAVARD-PERET A LU ET COMMENTE POUR VOUS
CIEL OUVERT (Encres vives)
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Les choses sont des esclaves muettes, résignées à leur état, sans discussion aucune. Elles sont ce qu'elles sont dans la servitude et le silence, même si
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Le monde est une lamelle de quartz
  insaisissable épaisseur
 qui ne fait qu'apparaître
et disparaître inlassablement
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Dans cet univers, à la différence de choses, l'être éprouve sa servitude et son besoin. Et c'est pourquoi il est ce mendiant qui veut s'extirper du mortier du temps, car il sait que
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Des fées minuscules
 agitent des cristaux
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Pour lui, dans sa condition double et unitaire d'être vivant,  l'apparent inerte réunit sa propre exigence et sa propre servitude par rapport à la complexité de  la structure du monde dont l'alchimie (si décriée pourtant) lui fournit quelques précieuses données. F.Y. Caroutch nous le rappelle à bon escient. Dans la maison de l'être perdure cette "rosace enflammée au centre du désir", pas n'importe quel désir, pourtant: celui où
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nos galaxies de nomades nous rejoignent
dans le vertige de notre mort provisoire
révélant le langage des plantes
et celui du silex lourd d'étincelles.
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 A ce titre, le monde est lumière: l'être le réclame parce qu'il est soumis et dans le besoin. Et c'est parce qu'il devient à ce titre mendiant de l'univers qu'il a un début d'exigence. La poétesse n'a de cesse de développer au sein non d'images mais d'une cosmogonie qui, par effet retour, souligne le dénuement de l'être, son manque de quelque chose ou son manque tout court. C'est à la fois la première et la plus achevée des formes de la conscience. C'est aussi un sentiment originaire que l'auteur de "Ciel ouvert" déploie, s'adressant concrètement à nous pour un supplément de conscience. L'être est donc un roi aussi mendiant que nu, mais auquel la poétesse rappelle le besoin supérieur et qui devient exigence. Il s'agit de penser le monde au sein d'une vision cosmogonique dont sourd la nostalgie née du refus de l'éloignement, de l'absence, de la distance de soi à soi, de soi au monde. Bref, il s'agit d'ouvrir à une incorporation du non-être à l'être et à l'univers. Et ce dont souffre l'être, c'est d'y avoir renoncé. A ce titre, F.Y. Caroutch rappelle la quête de Maria Zambrano dans "L'homme et le divin" pour lequel l'homme platonisant est le mendiant le plus satisfait. A une différence près, cependant: l'être de la poétesse francophone n'est pas éprouvé par le fait d'être un corps. L'auteur l'accepte, le reconnaît, car la condition humaine se donne d'abord à travers le corps vibrant. En révélant ce qu'il éprouve, il ne cherche plus seulement à en chercher le contre-poison, la contrepartie. Adoublé à ce qui le fait, il en devient une source d'action. L'auteur nous ramène ainsi à un sentiment originaire. Elle ne s'en satisfait pas, mais elle sait que par la matière même qui nous fait se trouve ce qui nous unit à ce qui nous dépasse et nous permet de toucher au
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sens caché
comme le pouls du cosmos
dans les ruches des montagnes
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C'est ainsi que distillations, calcinations, sublimations, bref tout ce que l'alchimie touche représentent autant de caresses de la grande prêtresse dont l'auteur devient épigone, apôtre, vicaire. Manière de dire à l'homme: ose qui tu deviens, ose le génie de ton lieu (puisque c'est lui qui te fait), dans une extase aussi physique que mystique. Elle seule
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fait briller davantage
le feu dans la crypte
 On peut aussi appeler cela l'extase nue.
 .
Jean-Paul Gavard-Perret, Traversées, Automne 2007
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Atalante fugitive de Michael Maier
Gravure de Theodor de Bry (1618)

NAISSANCE QUOTIDIENNE
(Ed. Encres vives, 2009)
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      Au mitan de la nuit
      le poème suzerain
      est ce non-lieu intemporel
      où l’or du temps est la couleur du vide
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Entre les obscurs faubourgs mythologiques et les architectures fantômes, entre la plaine de la vacuité et l’entrelacs cosmique gît une grande faille, fêlure du temps aboli. Pythies, oracles et présages animent les territoires des Parques et de Perséphone : cerné entre les crues d’autrefois et les fractures du futur, l’homme, désorienté, erre dans les arides territoires de l’intérieur:
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     Au pays des essences pures
     des gestes parfaits
     tu poursuis ta quête forestière
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Sur le lac aux images brouillées se reflète le paysage inversé, entre les courants volcaniques et les constellations de diamant. Du pays des légendes au vol plané des faucons, les extrêmes fusionnent, les sons nous pénètrent et dans le feuillage divin apparaît la déesse:
 
Partout veille la grande déesse
      pure phosphorescence
      des choses en soi
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Par la conciliation des contraires, par le dépouillement des mythes, Francesca Y. Caroutch aborde les rivages ensorcelés où le poème pénètre par effraction. Dans l’espace devenu musique, lumière et silence se marient dans le laboratoire-oratoire de poésie. Naissance quotidienne, éveil de la vie et de la mort car  "Ta nature originelle est rayonnement" 
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             Gérard Paris (Mensuel littéraire poétique. N°365, avril 2009 )
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CLAMEURS NOMADES
(Éditions du Cygne, 4 rue Vulpian 75013. Paris)
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La poésie de  Francesca Caroutch permet la jonction de l’altitude la plus vertigineuse  avec le corps, dans ce qu’il a de plus temporel, d’instantané et de plus tellurique, et donc de plus abyssal. C’est à traverslui que le poème donne le point d’appui et de référence à l’incommensurable. Ne nous y trompons donc pas : chez elle, la métaphysique vient autant d’en haut que d’en bas. Du ras de la conscience, voire même de dessous la peau de l’inconscient.Mais cette métaphysique (fruit - qui sait ? - de la jouissance liée à l’amour et à la connaissance) demeurerait naïve et sourde si elle ne passait pas par le filtre de la conscience. Toutefois, il ne s’agit pas de transformer la bête en ange, mais simplement d’ouvrir une nouvelle dimension à la jouissance.
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             Les plaisirs des sens
             auxquels on ne s’attache pas
             sont les ailes de l’esprit   (page 41)
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Tout est là. C’est le moyen de sceller l’homme à l’univers dans une dimension essentielle.A travers cette poésie, de réelles visions inspirées souvent par des espaces italiens se mêlent aux fragments de mémoire. Ils contrastent avec le motif intime - lieu clos où s’absorbe sa vie et s’accomplit sons œuvre. Francesca Y. Caroutch donne à la nature humaine l’effusion du nombre. Tout dans son livre est en mouvance pour le « signal »:
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              Eclair bleu dans la faïence de l’été   (30)
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Au sein de la rencontre d’images chères à l’artiste nait une création originale qui ne dissimule pas une propension à dévoiler une intimité. Cependant, on est bien loin de ces « évocations domestiques » où s’éprouvent une sociabilité apaisante ou encore une attention portée aux images furtive d’un paradis d’enfance.Si le poète cède parfois à la brisure contre l’intégrité de l’étendue, c’est bien cette dernière qui est recherchée. En conséquence, ce qui devient saisissant d’un point de vue poétique est précisément le paradoxe d’une écriture vouée, de livre en livre, à communiquer une véritable phénoménologie cachée de la vie, dans ce qu’elle a de plus intime et de plus large aussi.
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      Jean-Paul Gavard-Perret (N4728, N°17, janvier 2010)
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Bouddha (Grottes de Dunhuang. Photographie de jean Dif)
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Ondulations de caravanes
Au dessus des seuils ardents
Enfants exécutés pour haute trahison
Danse du paon liturgique
Nomades en esclavages
Fleurs de givre dans le cœur
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Célébrée par Bachelard, Mandiargues et Bérimont, Francesca Y. Caroutch a publié depuis Soifs une vingtaine de recueils de poèmes avec des titres significatifs : Les Veilleurs endormis, La Voie du cœur de verre, L’oiseleur du vide, Voyages du double, Demeures du souffle, Vol de la vacuité, etc.Suivant les orbes de la rivière et de la pensée, Francesca Y. Caroutch dresse une architecture invisible  entre l’assourdissant silence des galaxies et la tente originelle avec, entre les deux, une nature généreuse et luxuriante.

Entre le chatoiement des apparences et les douves de l’âme, entre les champs de l’éveil et les pulsations  du temps immobile, de la conscience de l’instant et  à la  conscience de l’éternel,   tout n’est  que  transmutations, transgressions dans « la lessive cuivrée du crépuscule » (Arthur Rimbaud).Dans un univers où les mythes s’écorchent sur les rochers, Eros dépecé accompagné d’Hécate et de ses chiens sont les architectes de nos désirs:
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      Dans les canaux de nos corps s’engouffrent
       îlots palais campaniles sublimes
      Puis tout se résorbe dans la vacuité
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Dans le grand chaudron primordial, les musiciens des abysses côtoient les grandes fresques du vide et croisent d’étranges caravanes
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        Bivouacs et caravansérails/ Voile frémissant des fournaises
        Lisières illisibles se dissolvent dans le vide
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Tout ondoie, tout se meut, tout se résorbe dans les gouffres du plaisir, dans les abysses du passé. La poésie de Francesca Y. Caroutch brûle d’un feu intemporel nimbé d’une coloration fantastique.Clameurs nomades ou l’éclosion de la rose mystique et charnelle…
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 Gérard Paris (Diérèse 47, 2009)
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Photographie de Nicéphore Niépce,1926
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Auteure aux multiples facettes, romancière, traductrice, spécialistes des symboles et des mythes (dont celui de la licorne), Francesca Caroutch est aussi (surtout ?) poétesse, comme en témoignent la vingtaine d’ouvrages qu’elle a publiés en poésie et dont l’un a reçu le prix Louise Labé. Dans le présent ouvrage, en vers libres et généralement courts, elle nous entraîne dans les filigranes d’une nature, omniprésente dans toute sa pesanteur sensorielle, avec.
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   le loup bleu des steppes stellaires
   entre l’Ourse et le Grand Chien  (p.80).
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Mais l’envol spirituel se cache évidemment derrière la pesanteur du concret, la nature est transparente de sa transfiguration même par les couloirs du rêve. A ce jeu, où le langage est sentier obligatoire vers l’être, l’auteure excelle, avec une richesse d’images qui est le signe de la plus pure poésie:
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Fauconnier de dieu
brandissant ton âme sur le poing
tu contemples sans fin la montagne (p.23).
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  Ou encore, et pour conclure :
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Féerique ce jardin nocturne
suspendu entre ciel et terre
dans une sérénité de fin du monde
Il ressemble à ton âme
inondée par la clarté de la lune (p.58).
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 Georges Friedenkraft. JOINTURE, Mars 2010

Orvietto
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Lorsqu'on essaie de rejoindre "l'esprit universel" et d' "apprendre l'écoute des mondes", quand "tout ce que tu contemples de l'intérieur est à toi", la vie s'ouvre à la quête de l'esprit et des sens.
 
Mais il s'agit de regarder autrement les choses simples qui disent l'alliance de l'homme et du mystère primitif. Alors, nous pouvons voir "les nymphes dans le coeur des tubéreuses", et entendre "les musiciens des abysses." Table de résonnance, le monde est à l'épreuve de la vie intérieure et de "l'inconscient de la nature", sous les astres qui "blessent et guérissent": Energie à l'état brut / se fondre en toi / Réel si gorgé de sens / qu'il n'a plus rien à révéler.

Mais rien n'est aisé.Tout procède d'un combat, car "le défi est la clé" et l'Eden, un devoir, une charge. Ainsi témoigne-t-on des marques de l'enfance dans cette dédicace aux tiers : "Nous survivions / car nos murs étaient faits / d'amour et de lumière." Venu de si loin, l'espoir rayonne, dans "l'attente d'un anachorète qui sauve(ra) le monde, pour que notre joie "de rien du tout" se trouve face à l'éveil sur "le radieux chemin de la marche éternelle."
 
Le couple est très présent dans ce recueil. L'homme, le premier initiateur est celui qui "né de l'espace, survint avec ses armes magiques". Enlacés, les amants survolent les collines, dans un monde vu nouveau, où "les phénomènes sont des fleurs" où "les îles vont et viennent" pour vivre la fusion avec "les larmes d'Eros dépecé /patiemment recousu".
 
Pour Francesca Y.Caroutch, tout passe, sauf la poésie, qu'elle imagine "foi vivante des anciens / culte voué aux trépassés de l'avenir".
 
Entrez donc. Ici, on invite.

 
Alain Breton  (Les HSE, Cahiers littéraires, N° 33, 2012)

LES ENFANTS DE LA FOUDRE
Rougerie - 2011
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La vierge Marie de Max Ernst
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J'ai toujours eu la plus grande considération pour votre présence en poésie et pour vos travaux.
 
 Yves Bonnefoy. Extrait d'une lettre du 23 mars 2011
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Votre"Maison de l'Aurore" me fait rêver, mais pas autant que vos poèmes. Les Enfants de la foudre me foudroient quotidiennement et m'entraînent dans des mondes où je n'espérais plus aller. Emu, émerveillé par vos fleurs et fruits de foudre, merci.
 .
Jean Chalon, 14 juillet 2011
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Max Ernst

Je me sens chez moi dans tes poèmes et, en effet, c'est la même patrie spirituelle que celle qu'offrent les textes de François Augiéras, que je ne cesse de relire.
Jean-Yves Masson, 5 octobre 2011
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Buffalo bordj. Oasis d'El Goléa

Les enfants de la foudre constituent un très beau recueil, uni de ton et de quête... Il y a une inspiration médiévale et renaissance dans vos mots, qui ajoute au mystère une évidence d'enracinement dans cette histoire que nous vivons, au-delà ou en marge de l'histoire.

La foudre est bien là.

Salah Stétié. 22 septembre 2011
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La puissance d'évocation et surtout votre art si personnel de situer l'homme dans son univers suggèrent la richesse possible de leurs relations si constamment réduites. Oui, ce livre me touche.
Jean-Pierre Siméon,  4 octobre 2011
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Jugement dernier du Moyen Age. Grotte de Brantôme. Dordogne

Le Magazine littéraire (Mars 2012)
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FORMULES ALCHIMIQUES Les enfants de la foudre, Francesca Y. Caroutch, éd. Rougerie, 58 pages, 12 euros..
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Francesca Y. Caroutch , qui doit son prénom italien à la volonté d’André Pieyre de Mandiargues, est l’auteur de plus de trente livres de poèmes, dont les premiers remontent à son adolescence, et sont d’une maturité qui stupéfia Pierre Reverdy et Gaston Bachelard.  

On lui doit des romans, des essais sur les grands symboles alchimiques (notamment la licorne, dont le mythe, entre Orient et Occident, nourrit toute son œuvre), mais aussi sur le bouddhisme tibétain, dont elle rencontra l’enseignement à travers des maîtres comme le 16° Karmapa (Rangjung Rigpe Dordje,1924-1981).  

L’un des grands confidents de sa jeunesse fut François Augiéras, l’auteur du Voyage des Morts et d’Un voyage au Mont Athos, dont l’ombre tutélaire l’accompagne toujours : il est l’un de ces « enfants de la foudre » que célèbre ce nouveau recueil. 

Francesca Y. Caroutch a placé son œuvre sous le signe d’une exploration assidue de l’imaginaire qui puise à des sources diverses, du panthéisme de Giordano Bruno aux recherches de Carl Gustav Jung sur les archétypes.  

Mais, pour bien la lire, il faut d’abord se laisser porter par la magie des images. Elle sait transmettre à ses lecteurs une sagesse lumineuse, exigeante et puissamment réconfortante.

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Extrait  
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CONSTELLATIONS DE NOMADES 

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Nul accroc dans la soie des voyages 
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Mendiants d’amour 
lorsque vous percez nos nuits fragiles 
saisissez-vous 
l’or volatil de nos poèmes 
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qui dorment tout habillés 
comme les nomades 
 
Pourtant, notre peuple intérieur 
chevauche monts et merveilles 
entre la douleur et les astres 
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L’extase du vide 
vous guérira 
de la maladie du temps 

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Les Enfants de la foudre, F. Y. Caroutch
Jean-Yves Masson (Le magazine Littéraire - mars 2012)
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L'Ange de la Révolution au Sahara (François Augiéras. vers 1960)

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Foudroyé, moi ! Tadao... Il n'y a donc pas de hasard. Mais quand il s'agit de quelqu'un comme Francois Augiéras et de vous, et que, dans ce lien si divin, une tierce personne comme moi, devienne un intrus, totalement, à son insu, c'est tout de même tout à fait ahurissant !

Sur ce grand aventurier - gudôsha - je ne savais rien. Et vous êtes allée chercher cet extraordinaire texte de M. Olivier Houbert - que je ne connaissais pas du tout non plus - jusque dans les débris causés par ces miserables bandits destructeurs de votre salon, j'en suis d'autant plus ému à l'extrême. Ma chère ancienne petite "Japonaise" !
 
Enveloppé de nombreux beaux timbres, votre Enfants de la foudre m'est arrivé il y a trois jours. Je le lis, le souffle coupé de surprise et d'euphorie. Pour moi, si pauvre en vocabulaire, d'abord, c'est une forêt d'autant plus pleine de mystères. A chaque mot, je dois m'arrêter, souvent consultant le dictionnaire. Sagesse et sensualité, qui vont de pair en vous, me saisissent à chaque moment, me ramenant vers quelque source  essentielle.
 
* Note : Il s'agit de  La littérature et l'exigeance  spirituelle : André Malraux et François Augiéras d'Olivier Houbert, paru dans Augiéras, une trajectoire rimbaldienne. Ed. Au signe de la Licorne,1996. Tadao Takemoto y est cité six fois.

Lettre de Tadao Takemoto (Extrait), Tokio, 11 juin 2012
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Ami de Mishima et d'André Malraux, qu'il traduisit au Japon et avec lequel il réalisa des Entretiens, aux Editions de la Licorne, en 1998. Il  publia André Malraux et la cascade de Nachi, chez Julliard, en 1989, ainsi que la traduction et la présentation des "Chants du gué", de l'actuelle impératrice du Japon, Michiko. (Ed. Signatura, 2006.)
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. Tadao Takemoto. Tokio, 2011

 
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In RECOURS AU POEME
par Antoine Beck
 
Les enfants de la foudre
                                 Francesca Y. Caroutch
 
À la lisière du dehors et du dedans
le lieu est la marche sans but
                     [Mirabilia]
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Chaque parution d’un recueil chez Rougerie demeure un événement. Quel catalogue ! On retrouve là nombre des principaux poètes du dernier 20e siècle, et du début de ce siècle. De beaux livres encrés au plomb et dont il faut comme autrefois découper les pages, imprimées sur beau papier sur les propres presses de l’éditeur. Depuis l’origine, celle de la création de la maison d’édition par René Rougerie, et jusqu’à maintenant, la maison étant reprise par le fils Rougerie.
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Francesca-Yvonne Caroutch donne, avec ces enfants de la foudre, un superbe recueil marqué par la force, la beauté et la sagesse d’une vie de recherche intérieure, en dialogue avec l’univers. Ce n’est pas rien, la poésie, quand elle atteint à un tel degré d’évocation, une telle plongée dans les méandres de l’être. Du reste, sa poésie a d’emblée été remarquée, dès Soif, recueil paru en 1954, par des noms qui tintent aux oreilles : Reverdy, Paulhan, Jean Grosjean, André Pieyre de Mandiargues ou Gaston Bachelard… Excusez du peu !
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Recours au Poème se joint à la lignée de ses admirateurs tant la poésie de Caroutch dit notre préoccupation, celle d’en appeler à la poésie comme cœur de la vie, face aux dérives mortifères de ce monde d’apparences et de sordides illusions. Rien de « guerrier » en cela. Juste un regard réglé sur le monde du réel.
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Les enfants de la foudre réunit en une quarantaine de poèmes exceptionnels les différents aspects de la préoccupation de Caroutch, cette vision au-delà du voile de l’illusion, depuis son expérience des traditions tant européenne qu’orientale, traditions dont sa poésie montre combien elles ne sont pas si éloignées quand on les regarde plus comme des complémentaires que comme des contradictoires :
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Les apparences nous enveloppent
Mais leur essence est vacuité
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               [Crépuscule d’un mythe]
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Dans cette poésie, la Parole circule en quête de lumière retrouvée, comme un appel à l’endormie pour reprendre le titre de l’un des poèmes. Tout est alchimie dans l’œuvre de Francesca-Yvonne Caroutch :
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Accalmie
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De minuscules créatures vivent parmi nous
Elles nous observent
blotties derrière les armoires
dans une coquille d’œuf
ou dans l’âtre éteint
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Ne jamais oublier
leur offrande de fleurs
de quelque menu joyau
ou d’un grain de blé
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Elles nous apprendront
à savourer l’ambroisie
de l’inconcevable enchaînement des choses
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Il est clair que si l’on entendait plus souvent ce genre de voix à la télévision plutôt que celles des imbéciles qui y passent leur temps sous couvert d’expertise (de quoi, on se le demande), le monde se porterait mieux. On entendrait alors une voix rappelant l’humilité de ce que nous nommons le réel.
Antoine Beck
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Francesca-Yvonne Caroutch, Les enfants de la foudre, Rougerie, 2011, 60 pages, 12 euros.
 
Un poème de Francesca Y. Caroutch
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Semeur d’éveil
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Un ange noir agite les bas-fonds
plus exaltés que le feu
au désert du désir
Peu importe
Nous avons la poésie dans le sang
Voici la terre pure
où le semeur d’éveil a planté sa tente
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Les yeux des fleurs s’entrouvrent
sous les fils de la vierge
amis de la rosée
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À l’aube du silence intérieur
barque dans les prés
verger sur le lac
Savoir
quand dire les choses les magnifie
les tue
ou inverse le cours du temps
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Francesca Y. Caroutch est poète, romancière, auteur d’essais. (L’alchimie, Giordano Bruno, la symbolique de la licorne…). Au fond, elle est surtout poète, au sens de chercheuse, travailleuse de sa pierre intérieure.
                                                     Juillet 2012
 
 

Autour de Francesca Y. Caroutch, ses débuts et quelques uns des derniers échos (Editions Encres vives, 2010)

Francesca Y. Caroutch, « L’or des étoiles », préface de Salah Stétié, Editions du Cygne, Paris, 68 pages, 10 euros, 2015.
 
Avec Francesca l’amour ne change pas, ne change plus. Il est resté le même depuis le jour où la poétesse rencontra François Augiéras. A l’aurore de sa vie la jeune femme fut la Visitée, l’enfant de la foudre qui dut payer cher pour son amour : de misérables pitres creusèrent devant le couple des abîmes.  

On retrouve le poète dans « L’or des étoiles » : il y est l’ombre et la lumière. Et l’auteure rappelle leur entente :  

« Nous célébrions la transhumance des esprits
à travers les milles scintillements de la matière
les métamorphoses du cosmos vers la lumière »
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L’amour fut d’emblée spirituel, deux énergies célestes s’y cristallisaient même si le corps était loin d’être absent. La « vieille âme déroutée » d’Augiérias trouva dans « la chair si jeune » de son aimée de quoi « plonger les mains / dans la farine des matins ». La délectation s’y prolongeait quand cela était permis par une marâtre jalouse de l’apaisement de son fils au côté de sa « pêche meurtrie mais aussi enivrée que la guêpe ». 

Tout Francesca Y. Caroutch est là. Derrière les portes du temps elle apprit  qu’il en existait d’autres « jusqu’au vertige / au grand vide de la félicité ». L’Eros est donc la partie secondaire d’un amour plus mystique qui ne cesse de nourrir la poétesse. La fille éphémère y transcende les instants et le temps. A son aune « L’amour fou » cher à Breton semble d’une platitude crasse.  C’est pourquoi les poèmes se succèdent pas saccades pour rejoindre la frontière des « ténèbres radieuses ». L’oxymore n’est pas ici une simple figure de style.  

Au milieu des couleurs de l’instant le présent seul est « l’or du temps ». C’est pourquoi Augiérias disparu depuis si longtemps demeure l’Amant. Ce qui ne veut pas dire pour autant que F. Y Caroutch le « pétrarquise ». Grâce à lui la douleur de la séparation temporelle a dérivé sous d’autres cieux. Le cœur de celle qui se dit « fille d’un volcan éteint, île à l’abandon » reste l’Ardente. Elle rejoint par son amour une divinité qui ruisselle de sueurs mythiques et mystiques. La passion trouve là son plus haut sens. 
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Jean-Paul Gavard-Perret Salon Littéraire 
 

L’or des étoiles. Poèmes de Francesca Y. Caroutch.
 Éditions du Cygne, Paris, 2015.
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Visite ailée de la félicité
Demain la lumière
ruissellera à gros bouillons
sur le sillage brûlant de l’aimé
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Quelle est cette langue d’alliance qui s’écrit de haut en bas de bas en haut, ostensible cadencée comme des gouttes de pluie ?.
Quelle est cette langue duelle composite reliant le ciel et la terre, de l’un et de l’autre éminemment solidaire, affinant ses accointances avec la matière passée par tous les états du singulier et du complémentaire ?
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Nous sommes la voûte étoilée
et le ciel est sur terre
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Une tentative de langage, de pont lancé sensible, architectonique avec l’autre monde ; l’autre vide et l’autre langage..
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C’est une vision suspendue dans les airs
Une fresque pariétale tracée dans le noir
un mandala ou l’île de la Dame
flottant dans le ciel à mille pétales
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Sur cette formation scripturaire, cette construction de la lettre enlevée, des mots, des images, des captations circulent en éclaireurs, en pontonniers, comme si l’une des tensions majeures de l’ouvrage et le don ultime de la poétesse étaient l’élaboration d’une langue libre, sujette aux éblouissements et divulgations de l’autonomie, armée pour poursuivre par elle-même son propre périple.
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La torche du solstice vacille
L’air tremble autour de nous
dans l’attente enchantée du soir
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Là où elle trouve son fil conducteur, son passage, le corps de l’être ne passerait pas, serait refoulé aux instances inférieures..
On sent, à chaque instant, que cette langue élue s’est détachée, n’a gardé qu’un lien volatile avec son auteur, apprend à marcher toute seule. Il a fallu sans doute que la femme écrivant prenne sur elle toute la virtualité immesurable de l’amour pour opérer un tel passage.
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Pourtant, il n’est que d’ouvrir les yeux, de disposer ses sens pour faire provision de l’extraordinaire.
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Vous avez reçu des signes
que vous préférez ignorer
Apprenez à scruter l’étonnement boréal
dans le sanctuaire de la nature
enceinte de splendeurs toujours vierges
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Tant de pureté d’une langue met à mal les antagonismes d’un rêve, en même temps qu’elle les exacerbe : ici tout se conte en état d’éveil : le plein, le creux, le proche, le lointain, le raffinement du verbe, ses gerbes de paroles aussi bien dans l’espace narratif que par-delà la mort..
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Chaque poème est un outil de l’âme qui accomplit son propre geste, parfait sa tâche à des myriades d’inconnues pour révéler sa part de lumière.
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Nous avançons ivres de prodiges ordinaires
Pulsations de sources secrètes
Ravissement du bleu intérieur
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Mais chaque outil prépare aussi la fusion du grand œuvre final : la saisie de deux êtres ciel et terre que la beauté émergente de la langue a mis en condition pour une éternelle et réciproque fécondation..
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Sans doute le montreur d’avenir, le "migrant", ressuscite-t-il sans fin les appels.
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De la nuit brillante des primates
un messager décrit
ce qui ne peut être transmis
que par brûlure
.Sans doute la prodigalité des corps unis dans l’amour peut un instant dérober la langue, la détourner de sa ligne de fuite. À moins qu’elle ne redouble et renforce le bien-fondé de son origine.
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Et le fil de trame se poursuit, va et vient de soi à l’être à l’univers à la fois labile et irréductible, vierge pur expert : partout se lit dans les jours et les nuits au travers de l’espace sa trace hyperbolique, bien que sa coulure, sa brillance à même la terre soit celles d’un animal de nature.
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De l’aube dorée du millième matin
surgissent les fruits juteux du silence
O la simple queue plantée
jusqu’au noyau de la cerise
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Au même instant, dans l’atelier, au moyen de ses prismes sensoriels et de sa mémoire, la femme poète le travaille encore, le nourrit, l’apprête aux multiples voyages : fil de trame de haute et de basse lice ou s’engouffre tout une féérie de messages.
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À la Saint-Jean le millepertuis
chassera tous les mauvais esprits
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Au loin passe Isis
debout sur sa barque
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Je t’attends sur l’autre rive
au miroir de la rosée
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Tout ce qui parait dans ces pages est en phase d’ascension, d’éclosion, d’un bain à l’autre des étapes et des transmutations. Le texte est doté vigoureusement d’une paire d’ailes. Ce qui s’éveille se capte à la volée par les mains franches de la voûte céleste, sert de fragment de liaison entre le vécu et l’universel..
Ces mots, ces traits, ces taches de lumière, d’écriture, ont leur chambre dans le ciel.
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Le livre ouvert, la langue monte encore, fusionne avec l’"Or des étoiles"et ces parcelles d’infini qu’elle nous délivre jamais les mêmes - cent lectures n’y suffiraient pas -sont la preuve d’une vérité qui l’engage.
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Mais peut-on rendre compte d’une écriture éminemment en mouvement, dont le jeu supérieur est de renaître sans fin et de nous apparaître sans cesse différente. Le livre à peine refermé, l’esprit de recherche reprend, en quête des mystères d’une nouvelle moisson. Mais écoutons encore ce précieux conseil en exergue de l’un des poèmes.
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À lire seulement au crépuscule de l’été
lorsque la lumière est encore si forte
qu’elle pénètre dorée dans la terre
où elle demeurera cachée.
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 Odile Cohen-Abbas in HSE N° 40. Cahiers Littéraires. Jacques Lacarrière. Paris, Ecouen.  2° trimestre 2015.