Quelques échos
sur l'oeuvre poétique de F.-Y. Caroutch
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FRANCESCA-YVONNE CAROUTCH
Glané par Igor Smetanoff
dans des anthologies, des livres,
des revues, etc.
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En rédigeant la préface à
Voyages du double (Ed. Rougerie, 1988), André Pieyre de Mandiargues
pria Yvonne Caroutch d’ajouter à son nom de plume son véritable
prénom, Francesca. Elle renoua ainsi avec ses ancêtres italiens
qui s’étaient unis à la famille Roosens, corporation
d’échevins flamands , bienfaiteurs de l’Église, dont le blason
remonte à l’époque des Croisades. Ses autres ancêtres
étaient des galaxies de nomades originaires d’Asie centrale. .
I.S.
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Yvonne Caroutch
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SOIFS (Ed. Ned)
Jeune fille, à la limite de l’adolescence,
Yvonne Caroutch a l’âge du poète, l’âge de Rimbaud-voyant,
où l’on tire et fait mouche sans trembler ! Elle a reçu,
en même temps que la grâce, un matériel d’images qui
- pour avoir été retiré des entrepôts du siècle
– n’en demeure pas moins déconcertants et mystérieux. Ce
n’est certes point attenter à sa féminité à
sa lumière intérieure, que déceler en ce qu’elle écrit
un accent heureusement viril. Le mot « poète »,
au demeurant, ne comporte pas de féminin acceptable. Yvonne Caroutch
le sait, comme elle sait instinctivement toutes choses. Pour cette raison,
elle ignore l’art de broder au petit point, le sentimentalisme fade. Les
élans qui la portent sont généreux, cosmiques. Elle
vit avec les marées d’astres, les plantes, avec la coulée
volontaire des fleuves et le craquement des étés torrides.
Si le génie est – comme on l’assure – un épiphénomène,
extérieur à la personnalité et qui cogne, à
certains instants, pour tirer un chant, un retable, une symphonie, de la
plus anonyme des créatures, Yvonne Caroutch est assurément
traversée de cette injonction ou de ce glaive. Elle fait songer
à la petite gardeuse de brebis, ignorante des falsifications comme
des belles manières de l’esprit, mais qui sait déceler l’endroit
d’où vont monter des voix. Son oeil, pareil à l’objectif,
tranche au 1/100ème de seconde dans la réalité pour
en isoler les images. Un instinct de femelle sauvage dicte sa démarche
et sa quête. .
Luc Bérimont (Carrefour
des Lettres, 1954. Extrait )
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Evelyn de Morgan
La Nuit, mère
d’Hypnos, et le Sommeil. 1878
Soifs par Yvonne Caroutch
(Éditions Ned)
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…Merci pour Soifs, les bien nommées. J’en
aime le mouvement hardi, l’abondance charmée, les épousailles
avec l’illustre univers… .
Lettre de Joseph Delteil
- 2 Novembre 1954
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Nostalgie de la lumière
(Photographie Evgen Bavcar)
Soifs par Yvonne Caroutch
(Éditions Ned)
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Écrire que les poèmes de cette adolescente
sont excellents serait trop peu. Il s’agit, en effet, d’une révélation
et, cela veut assez dire, je pense, qu’ils possèdent, outre leur
valeur poétique qui est certaine, une densité, une suavité,
une grâce exceptionnelles.
Nous aimerions, bien entendu, que le lecteur
dirigeât sa curiosité vers ce petit livre aux images âpres
et dépouillées, vibrantes et scintillantes comme l’acier
où se reflète une âme lucide et tourmentée,
brûlante et pathétique qui nous embrase « comme un
grand feu de menthe ». .
Michel Manoll (Franc-Tireur.
4 Novembre 1954)
SOIFS, poèmes de
lycéenne
UNE LUCIDITE OUVERTE
. Elle cherche à libérer sa propre
personnalité. Ce qui est un véritable attentat contre les
lois de la nature… Cela nous vaudra des vers rarement aussi denses, aussi
personnels, exprimant une pensée qui va encore se resserrer, se
tendre pour l’arrachement définitif de la terre.
L’atmosphère de rêve qui embue
ces poèmes pardonne à l’avance cette transgression de la
loi fondamentale dans laquelle, une fois de plus, elle a entraîné
son compagnon.
Michel Velmans. (Parallèles,
Janvier 1956)
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Cranach l’Ancien, 1532
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Soifs d'Yvonne Caroutch est un recueil qui
fait parler, l'évènement du jour. On sait le goût de
Reverdy pour ces poèmes. Et comme les femmes poètes sont
souvent discutables, il ne faut pas craindre d'apprécier celle-ci,
dont le beau nom barbare est à lui seul un poème. Si
tout ici n'est pas nouveau, il faut savoir gré à Yvonne Caroutch
de donner vie, authenticité à des images connues, qu'elle
vide tout contenu intellectuel, qu'elle nettoie de toute écorce
rhétorique. Sa voix est ferme, forte, rauque, dirais-je...Elle donne
au désespoir une expression saine, une ardeur bien réconfortante.
Nous savons qu'Yvonne Caroutch ne sera point vaincue. .
(P.L. Arts et spectacles,
Octobre 1954)
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On a tant dit que la poésie, c’est
l’enfance « conservée » ou « retrouvée
en larmes » qu’on s’étonne de pouvoir mettre sur une poésie
aussi naturelle, aussi instinctive, et pure que la vôtre, le visage
d’enfant que vous avez. Pour une fois – la dernière, c’était
Cadou, l’avant-dernière Radiguet, l’avant-avant-dernière,
Rimbaud – le poète est dans sa poésie comme poisson dans
l’eau , comme chair dans la peau, comme sève dans l’ormeau.
Je n’encense pas : j’assiste à l’évidence. Ne perdez pas
cette fraîcheur admirable, cet amour du vert, ce cousinage d’étoiles.
L’eau restera vive en vous tant que vous ne vous désaltérerez
pas de vos soifs. .
(Jean Rousselot. Extrait
de lettre, Octobre 1954)
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Fleur des Histoires,
par Jean Mansel, XV° siècle
. …J’ai r’ouvert bien souvent le petit livre,
le relisant chaque fois avec la même spontanéité.
Ils invitent, vos poèmes, à la spontanéité.
Vos images sont directes, nouvelles, vivantes. Comme vous le dites bien,
page 24 , quelle "apocalypse de la soif" ! Le feu central et l’eau
s’étreignent, les contraires se transpercent. Et vraiment, moi qui
ai tant rêvé dans les champs, n’ai-je jamais pensé
à faire, comme vous, sous des épaisseurs de terre,
"un grand feu de menthe". Ah ! j’aurais aimé ainsi incendier
la rivière..Vous voyez, votre livre a pour moi toutes les odeurs
du feu . (…).
Lettre de Gaston Bachelard.
31 octobre 1954
. …Si la poésie puise dans la nature
de quoi faire ce que la nature ne fait pas, on peut à la rigueur
admettre que le Printemps vienne demander un signe de timide approbation
à l’hiver. Mais les gestes des branches dénudées sont
plutôt tristes… C’est un grand privilège de pouvoir à
dix huit ans écrire et publier de beaux poèmes – et de vivre,
comme vous le dites, dans votre propre royaume. Mais ce n’est pas
vers l’hiver refermé qu’il faut à présent regarder,
mais du côté de votre bel été, dont je suis
sûr que vous avez de merveilleuses moissons à attendre….
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Lettre de Pierre Reverdy -
26 Janvier 1955
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…Il y a en elle un imagier rustique, un architecte
trouble et troublé, surtout un goût indéniable (qui
s’en offusquerait ?) pour le côté charnel des êtres,
de l’existence. Sa main caresse à qui mieux mieux. Dans sa marche
à l’amour, patiemment dirigée, elle a les lèvres ouvertes
sur son murmure lourd et rauque. L’ami, Prince ou héros, saurait-il
rester insensible à cet appel qui insiste ? Héros, Eros,
plusieurs feux la partagent, la brûlent… .
Jean Breton (Parallèles,
Janvier 1956)
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Dosso Dossi. Savant,
entre compas et sphère (Début XVI°)
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…Merci de m’avoir fait lire vos poèmes.
J’en aime le ton puissant et farouche. (…) ..
Lettre de Jean Paulhan - 17
Février 1955
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Le G de Pythagore, en ce point où il
s’allie au Graal, découvre la profondeur de notre destin, comme
celui de nos possibilités de salut. Les grottes esséniennes
comme celles de Platon, comme celles de Mithra, sont les images d’une descente
en soi, que le G nomme spirituellement, en pleine nuit, ainsi que la source
la plus pure : celle de la lumière orphique, aux prises avec l’éternelle
Ténèbre. La quête du Graal, si elle blesse l’audacieux
Perceval, comme elle avait condamné Prométhée, confère
au héros ses titres de noblesse, qui sont sa grandeur initiatique.
Dans le temps où le taureau des arènes espagnoles reçoit
les banderilles, comme le roi reçoit les Saintes-Huiles, le G de
Métaponte s’accuse et se sauve, entreprend l’Elu en la conquête
solennelle de la seule vérité qui importe ; le Graal et non
pas Dieu, mais le Regard. Non pas l’œil. Ainsi qu’il arrive à ces
pêcheurs de perles, qui soudain se transforment en chasseurs de requins,
l’initié brise la fleur de glace pour y voir plus loin que l’hiver
; et voici le Graal qui se brise comme une coupe de noces à la Tzarine,
et le G, à nouveau triomphe, innombrable, dans l’unité
parfaite de son nombre. .
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Un recto tono aigu, tendu avec des modulations
de comas et de brusques syncopes.
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Jean Grosjean (La Nouvelle
NRF, 1955)
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LES VEILLEURS ENDORMIS
YVONNE CAROUTCH ET LE SILENCE
INTERIEUR
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Caroutch, il apparaît que le silence est
un de ses plus hauts moyens de création. Nous entendons par là
que, loin de tout lyrisme, sa manière d’écrire retrouve
ce mutisme élevé qui est bien celui des œuvres manifestement
profondes. Toujours est-il que le silence est notre chance la plus certaine
de parvenir à la plénitude, même lorsque ce silence
n’est autre que le fracas des eaux, dans un petit matin où s’échangent
des paroles coupantes, ou lorsqu’il naît des "rumeurs d’insectes
sous nos grands feux de ronces".C’est grâce à lui que
"l’aube a la saveur de l’air avant le premier feu. "…Je connais
assez intimement Yvonne Caroutch pour affirmer que beaucoup de ses textes
furent écrits dans le tumulte le plus abrutissant, quant il semble
impossible de conserver une parcelle de calme. A ces moments-là,
Yvonne Caroutch avait le privilège de lisser un immense lac intérieur,
et le silence jaillissait de ses mots, telle une ferveur tissée
fil à fil……pour écouter "le chant confus d’un peuple de
licornes enlisées dans l’ombre du cœur". .
Claude Hartman. (Parallèles,
Janvier 1956)
Domenico Fetti
( XVII°, Louvre)
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Vos Veilleurs endormis connaissent tous
les songes de la vie. Je lis vos poèmes, je les relis dans les heures
d’avant l’aube. Il est six heures. Paris hésite entre le noir et
le gris. Je suis vraiment en face du "porche de l’ombre"..
Vos pages m’aident à rêver. Vous
savez que chaque objet est un monde endormi, une source de mondes légendaires.
Votre dernier poème (page 39) le dit si bien ! . Je n’ai pu décrypter le titre du poème
page 24. Dans quelle "hutte" l’avez-vous vécu ? Oui, dans
quelle hutte avez-vous connu "la fête obscure des galaxies"
? . Personne, sauf vous, ne le saura. Mais vous,
vous le savez. (…)
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Lettre de Gaston Bachelard
- 7 Janvier 1956
.
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Yvonne Caroutch, d'une manière inexplicable
pour les gens seulement raisonnables, participe à la vie obscure
de la terre. Le sachant, elle écrit Les veilleurs endormis, où
elle a beaucoup de talent pour exprimer un tel mystère. Dans une
suite de poèmes concis alternant la prose avec les vers, elle trouve
l'image neuve, juste, au net éclat. Il semble que la beauté
un peu glacée de son lyrisme concourt à l'édification
d'un Parnasse moderne, issu du surréalisme. .
(Le Thyrse, 1956)
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Caroutch nous donne, avec Les veilleurs endormis
(Ned), une suite à son premier recueil, Soifs.Toujours même
intériorité et même atmosphère. Oui, une poésie
d'atmosphère: cœur, graine, cri, gorge, proie, silex, artère...
Et quelle intensité de sensations et d'expressions, quelle puissance
d'envoûtement!
Couchés dans d'obscures cavernes, nous
traverserons la fulgurante éternité des haleines qui s'entremêlent.
Notre passé, le cou tranché au ras de l'angoisse, s'enlise
doucement dans les sables du bonheur. .
Pierre Chabert ( Avignon
soir, 13 mars 1956)
.
Un mur du cloître de Saint Guilhem
le désert. (Hérault).
Photographie de Bernard Eudes.
.
Dans la jeune poésie de notre temps,
je note cette nuance délicate de l’image bienfaisante. Yvonne Caroutch
(Les veilleurs endormis, Ed. Debresse) entend l’aube citadine quand la
ville «a des rumeurs de coquillage vide». Cette image,
elle m’aide, être matinal que je suis, à me réveiller
doucement, naturellement. .
Gaston Bachelard (La
poétique de l’espace. P.U.F. 1957)
.
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Sur L'Oiseleur du vide (Empreintes,
1958)
.
La jeune poétesse Yvonne Caroutch sait
ce qu'est la poésie. Dans l'herbier des mots, elle sait choisir
celui qui porte saveur et couleur...Un monde ambigu et fascinant
que la palette poétique nous rend en demi-teintes. "Entre deux
battements de cils surgissent des mondes de légende."
Mais ces tableaux servent de support à
une pensée qui s'achemine dans une direction déjà
marquée. "Soumis à des rites obscurs dont la clef s'est
perdue, nous évoluons entre de perpétuels jeux de miroirs,
qui renvoient nos gestes vieux de milliers d'années" nous ramène
à Platon et "Nous nous croyons éveillés au cœur
de notre certitude, mais nous ne sommes que des dormeurs enfouis dans des
pays ensablés" aux penseurs de l'Orient. .
Christiane Burucoa (France
latine, Juillet 1958)
.
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…Une force de poèmes est en vous. Quand
vous reviendrez à Paris, revenez me voir. Je suis d’habitude
chez moi vers 18 h 30. Si je suis absent, vous venez le lendemain.
Inutile de m’écrire : je n’ai pas le téléphone. (…)
.
Lettre de Gaston Bachelard
- 27 Mars 1959
. .
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PAYSAGES PROVISOIRES
Ed. Mica - Venise,
New York - 1965
Edition bilingue. Traduction
anglaise de Raymond Federman
Avec douze gravures de Vittorio
Basaglia
. …Comme le disait Diego Valeri, après
avoir traduit cette suite de poèmes en italien, à la demande
de la galerie Il Cavallino, les pages brûlantes de la jeune poétesse
et les gravures de Vittorio Basaglia s’épousent pour exprimer la
quintessence de cette ville magique. .
Vittorio Basaglia. Photographie
de Francesco Barasciutti
.
Il Gazzetino. Venezia -
Mars 1967
.
…Dans Soifs, Les veilleurs endormis, L’oiseleur
du vide et Paysages provisoires, elle enchaîne de « petits
éclats d’éternité » qui sont autant de notations
végétales, minérales, charnelles etc., arrangées
avec soin dans un éclairage surréel…. .
Jean Rousselot (Dictionnaire
Larousse de Poésie contemporaine, Janvier 1968)
.
.
…Le poème du Pont de l’épée
m’a bouleversé, tant il m’a donné l’impression de remonter
aux sources mythologiques, luttant pour inverser le temps et dépasser
notre condition. De l’incantation à la prière païenne,
quelle moisson d’images, quelles laves, quelles fusions ! J’en suis sorti
confusément exalté, heureux, presque. Vraiment, j’aime la
poésie telle que vous la faites, plus que tout. (…) .
Lettre de Robert Sabatier
- Lundi de Pâques 1970
LIEUX PROBABLES
Je relis les Lieux Probables : les trouvailles
parfois géniales sont innombrables, et je passe de l’admiration
à l’exaspération : de telles qualités dispersées…
jetées au vent !aux Barbares
! .
François Augiéras.
Lettre du 25 juin 1968 - (Les Fougères, par Brantôme.)
.
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J'ai retrouvé avec émotion
les étonnantes qualités : dans ce recueil, il y a peut-être
50 phrases - je n'ose pas dire vers - absolument admirables ! De musicalité,
de profondeur, de rythme, d'intuition ! 50 phrases de prose exemplaire
! Un recueil de nouvelles m'intéresserait davantage, un engagement
dans le Réel !... du solide, un témoignage. Je relis les
Lieux Probables : les trouvaille parfois géniales sont innombrables,
et je passe de l'admiration à l'exaspération : de telles
qualités.., dispersées.., jetées au vent ! aux Barbares.
Pire, aux Lettrés, aux raffinés...
.
François Augiéras
( Au bord du fleuve,
le paradis des fleurs et des oiseaux )
Yvonne Caroutch tient les défis, tout
en renouant intelligemment avec le romantisme allemand. .
Jean Breton
Poésie féminine d'aujourd'hui (Poésie
1, 1969.)
.
Yvonne Caroutch, étonnement douée
dans Lieux probables, qui est une manière de chef-d'œuvre, appartient,
elle aussi, à la nuit criblée de feux des romantiques allemands.
Inquiétante, trouble et vénéneuse, sa poésie
hante les marécages, les canaux ou les lagunes d'une Venise transfigurée,
avec cette somptuosité baroque qui ne laisse pas d'être soutenue
par d'occultes réminiscences. .
Alain Mercier (Magazine
littéraire. Les grands courants de la poésie française.
Décembre 1970)
.
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De Francesca Y. Caroutch, on peut dire que
sa poésie est "paroledebout". .
Gilbert Lély (Dédicace
de ses Oeuvres poétiques à l'auteur, 1970)
.
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Les veilleurs endormis, de Caroutch : on sait
qu'il n'en est point de plus lucides. Cauchemars, visions atroces ou baroques
irriguent son poème, en familiarité avec la nuit. En décalage
permanent avec l'heure humaine, elle appelle autour d'elle un luxe d'espace
imaginaire, où règne la sensualité. .
Magazine littéraire
(Petit dictionnaire des poètes. Décembre 1970)
.
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CORRIDOR ou TOMBEAU DU ZODIAQUE
Anthologie Poètes
singuliers du surréalisme et autres lieux
(Ed. 10-18, 1971
.
Niklaus Manuel Deutsch (XVII° siècle)
*
J'aime beaucoup vos pages, dans "Poètes
singuliers". Je les ai méditées en essayant de retrouver,
à travers, votre visage.
.
René Nelli. Lettre
du 13 octobre 1971
(à propos de recherches
sur les Fidèles d’Amour)
*
Rencontre de Dante et de Béatrice,
à Florence
Henry Holiday, 1884
.
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LA VOIE DU CŒUR DE VERRE
Éditions Saint Germain
des Prés
Prix Louise Labé
1974
.
…Votre sincérité est totale, et
c’est sous l’empire d’une profonde et vive émotion que vous
écrivez. Chacun de vos poèmes contient des notations admirables.
C’est pour moi un réconfort intellectuel de connaître vos
poèmes saisissants…. .
.
Lettre de Gilbert Lély,
24 décembre 1969
.
Exprimée sans emphase ni détours,
peu soucieuse de novations, la poésie d'Yvonne Caroutch est tout
angoissse, prémonitions, douleurs, espoir insensé. un tempérament
inquiet s'y déploie entre mille sensations étranges, où
la sorcellerie a sa part. Le vertige de la difficulté d'être
y laisse de remarquables stigmates. .
Tu reviens taisant quelles secrètes blessures quels obscurs combats dans quelles ruches venimeuses
Le mot perdu un soir de pavot et de cèdre tu le cherches à tâtons à fleur de mémoire à
mémoire d'abîme herbe magique perdue dans les terres occultes dans le corps immense de la nuit
Au bois sec de l'oubli écoute le cri de l'entaille qui ne veut pas se refermer qui regrette la hache
..
Alain Bosquet (Le
Monde, 7 Juin 1973)
.
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…Caroutch s’exprime en de fortes images,
qu’on ne peut plus oublier…C’est un monde fantastique qui s’éveille
autour d’elle…La fièvre gagne les éléments. Le réel
et le surréel, marqués de la même passion, posent la
même énigme, insoluble…
Serge
Brindeau - La poésie contemporaine (Ed. Saint-Germain-des-Prés,
1973)
.
.
A des extraits de ses précédents
recueils (Soifs, Les Veilleurs endormis, l’Oiseleur du vide, Paysages provisoires,
Lieux probables), Y. Caroutch a ajouté les pages inédites
qui donnent son titre à cette anthologie. L’unité de l’œuvre
tient dans un ton de solennité qui subordonne l’aventure personnelle
(rarement elle écrit je) à une inspiration cosmique, faisant
tournoyer jusqu’au vertige tout un monde éclaté où
ne se perçoit plus qu’à peine "le battement d’un cœur
de verre dans le miroir brisé". .
A.Carriat. Les livres. N°
199 - Février 1974
.
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HORDES VIRGINALES DU MATIN
Editions Lettera amorosa,
1976
.
Avec Joyce Mansour, F. Yvonne Caroutch est
l’un des rares poètes féminin d’aujourd’hui à
créer une poésie constamment érotique, mais qui sait
conserver un caractère général au lieu de se perdre
en confidences personnelles. Issues l’une et l’autre du surréalisme
– ce qui explique peut-être leur distance à adopter la forme
du conte, du roman ou du poème en prose – elles se séparent
toutefois au niveau des intentions, Joyce Mansour chérissant les
masques grimaçants du scandale, tandis que Caroutch préfère
la nudité de visages secrets de l’être en proie aux angoisses
et aux fêtes de l’invisible. . Depuis Soifs, son premier recueil, Yvonne
Caroutch a suivi un chemin qui est celui d’une quête intérieure
essentielle, non dépourvue de dangers si l’on considère le
tracé vertigineux de cet itinéraire, entre instinct sauvage
et effort en vue d’acquérir une totale connaissance. Alchimiste
des mots, le poète de Hordes virginales du matin (illustré
d’une lithographie de Martin Dieterle) fixe ici, en vingt deux textes d’une
prose très dense, dépourvue à la fois de mollesse
et d’aspérités, ces secondes de pure voyance qui enrichissent
le dormeur au moment de son éveil, quand l’esprit hésite
encore à opter pour le règne de la nuit ou celui du jour. .
Marc Alyn. Le Figaro - 30
Avril 1976
.
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La magie siège au cœur de la vision,
sur des trônes de glace et de feu désertés par les
dieux, depuis que l’homme ne possède plus de regard pour "voir".
Yvonne Caroutch nous enseigne la voie du Cœur de verre comme une
clairière blanche et paisible où le corps et l’esprit, à
jamais divinisés, se reposent de leur quête harassante. . L’auteur nous prouve une fois de plus que
le langage poétique est véritablement l’expression du Verbe,
la première parole offerte au silence d’avant la création.
Alors l’homme se fait fils des dieux et commence le long périple
qui le conduira au-delà de lui-même, et la femme retrouve
la coupe étincelante dans les ruines de sa mémoire. L’un
et l’autre, frère et sœur d’un même empire, redonnent à
la brûlure sa splendeur ciselée. Les nuits chaudes de Provence
roulent comme un velours espagnol, la mort et l’extase viennent boire au
désir devenu plaie ouverte, et c’est d’alchimie qu’il s’agit lorsque
le corps nouveau surgit loin derrière la nuit, porteur des vérités
jamais prononcées. C’est ainsi que naissent les nouvelles étoiles,
et c’est ainsi que l’homme redevient dieu, après la nuit interminable,
que le feu le plus ardent donne naissance au cœur de verre. .
L’autre monde, N° 24
- Eté 1978
.
Consolata Radicati
(2005. L’Albero della Rinascita)
*
VIVANTE POESIE
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…Yvonne Caroutch entra en poésie
avec Soifs, chez NED, dans la collection des "Curieusesdemoiselles".
Curieuses dans le sens d’étranges, d’étonnantes. Cette demoiselle-ci,
aux ascendances tibéto-mongoles, sinon gitanes (d’où son
goût pour le nomadisme) et par une autre voie, apparentée
à Circé, tenait de la magicienne, à la différence
que ses philtres n’étaient pas composés d’herbages, mais
de lexies. .
Quand nous serons
comme deux soleils ivres
dans le silence des figues
quand la nuit moite croulera
au loin sur les villes mortes
quand nous entendrons le cri compact
des graines enfouies
sous des épaisseurs de terre
nous ferons un grand feu de menthe
pour annoncer les épousailles
de l’âme obscure des rivières
et de nos soifs multipliées
.
Déjà la voie était tracée,
déjà sourdait l’appel de ce qui est au-delà de l’intelligence.
Un sens inné du symbole. (…) le dit symbolique et initiatique
de cette poésie sera concerté, tout en restant accessible
au profane. Rappelons-nous d’ailleurs cette parole de Miloscz : "L’initiation
commence avec l’Amour". Il s’agit moins d’apprendre que de percevoir. .
Tu connais le rouge intérieur
et la mort incertaine du sphinx
les oscillations souterraines
les obscures gestations dans la citadelle
lisse et heurtée comme nos jours
.
Pour le dire il faudrait
des siècles de folie titubant
dans la neige
mille fenêtres ouvertes sur les
ténèbres perlées
où règne l'utopie du
désir
.
Mais nous sommes au-delà du
philtre
- la saveur de cette coupe de sang
noir
avec ses caillots et ses puits de lumière
. Entre ce poème inédit et le
précédent, vingt cinq ans ont passé. Beaucoup de voyages,
en Asie surtout, avec des stages dans des monastères, sans perdre
de vue l’Occident. Le courant de tradition hermétique entre les
Celtes et l’Asie n’a jamais été coupé. Discipline
du vide de l’ego, ou du non-moi, telle que le suggère le poème
ci-dessous : .
Roide éveil dans l’engourdissement
de la menthe
Foudroyant midi des serpentaires
Cœur battant comme une porte au bord
du gouffre
Navigation hermétique dans la
nuit sans chemins
Murailles mouvantes tours de sable
pierres volantes demeures d’oubli
Besognes obscures danse des atomes
soumis
Jeu étincelant des divinités
sur les crêtes
.
Enfantement prodigieux de la géante
couronnée de soleils
Echine nue des étoiles débusquées
Fresques vivantes sur l’écran
du vide
(…)
.
Circé nous fait participer à un
envoûtant rituel de magie cosmique :.
Enclumes et sirènes
linges obscurs
Et ce ruissellement d’oracles dans
l’iris du temps
où la pomme d’opium étincelle
Le signe de la bête trapue se
love
dans les strates profondes de la nuit
dans la lueur inverse de l’insomnie
Souvenir arborescent du rapace
qui se débat
dans la chevelure de la rose des ténèbres.
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Pierrette
Micheloud. Construire - 19 Décembre 1979
Caroutch, érotisme de brûlure,
de lagunes ou visions cosmiques.
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Jean Breton, La nouvelle
poésie française (Poésie 1, N° 64, 1979)
Yvonne Caroutch, du pays d’Armor, de lointaine
ascendance mongole, sur les traces de ses ancêtres refait l’itinéraire
initiatique, rejoint l’intuition des origines. Dans la simultanéité
du voyage intérieur et des découvertes longtemps subodorées,
chaînant des confins contraires, en harmonie quasi biologique
avec la figuration de l’Insaisissable, Caroutch sait des dragons qui dévorent
et régénèrent, et le « dieu blanc », victime
de ses propres charmes. Elle aime à dire, hors du temps, Wagner
ou Meyrink, tant d’autres pôles d’attraction balisés de textes
beaux comme des lampes au fond de ses labyrinthes. Déjà l’enfant-Caroutch,
le poète de seize ans, voyait tomber des masques sur la mappemonde
magnétisée de la planète.
Eros et la Mort, rivaux extrêmes, s’étreignent,
telle une anamorphose dans un tableau de Hans Holbein.
Claude Hartman - Les grands
courants de la Poésie actuelle (Intermuses, N° 8, 1980)
.
Filippino Lippi
POETES ININTERROMPUS
(Vidéos Poémonde)
Forum des Halles, salle168 - 7 Juin 1980
Vidéo de 30 minutes sur F. Yvonne Caroutch
(par Claude Herviant)
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TENTE COSMIQUE
Editions Le Point d’or
.
…Dans sa Poétique de l’espace, Gaston Bachelard
rendait déjà hommage aux premiers poèmes de Francesca
Yvonne Caroutch, encore dans son très jeune âge ; les images
de ses Veilleurs aidaient le vieux philosophe à s’éveiller
à l’aube, de son propre aveu, et à métamorphoser les
rumeurs matinales de la Place Maubert, près de laquelle il demeurait.
Signalons que le poème préféré de Bachelard
a comme noyau la vacuité (La ville a des rumeurs de coquillage vide),
et qu’il est cité dans le chapitre de cette Poétique consacré
à la cosmisation de la demeure et de la hutte qui, comme la tente,
"reçoit sa vérité de l’intensité de son
essence, l’essence du verbe habiter", desasolitudecentrée, "d’où rayonne un univers hors de l’univers
et qui, de dépouillement en dépouillement, donne accès
à l’absolu du refuge."
L’ami de la jeune poète se doutait-il
que, plus tard, celle-ci nous donnerait deux recueils inspirés par
la même thématique, Tente cosmique et Vacuité de la
tente ? Il serait difficile de trancher entre le cas d’une subtile
prémonition de la part de Bachelard, souvent coutumier du fait,
ou bien d’une injonction secrète à laquelle Caroutch ne demandait
qu’à se soumettre. Mais il est presque certain que ces deux suites
de poèmes d’une grande densité n’auraient pas vu le jour
si elles n’avaient été longuement nourries par un essais
sur la symbolique de la Tente (archétype du mandala). . Les patientes recherches de Caroutch qui la
conduisirent maintes fois en Asie - où elle éprouve périodiquement
le besoin de se ressourcer - eurent comme point de départ la tente
qui absorbe la Dame à la licorne dépouillée de ses
bijoux, dans la tapisserie nommée "A mon seul désir"
(Musée de Cluny). Bel exemple où la poésie entremêle
ses fils d’or à la trame et à la chaîne indissociables
du quotidien et de ses symboles, des travaux et des voyages, de la quête
spirituelle et de l’amour. . Nous avons relevé de nombreuses traces
de visions dans lesquelles la tente est reine, depuis les poèmes
d’adolescence jusqu’au long poème en prose intitulé Hiver1584,
qui figure dans le Cahier de l’Herne consacré à Gustav Meyrink
(ce pourquoi Caroutch, maître d’œuvre de ce volume paru en 1976,
préféra signer ce texte de l’un de ses pseudonymes, Waclav
Zelenca.) . La tente est également présente
dans le double volume que Caroutch réalisa pour les Editions Obliques
: n’est-ce pas sous la tente, dressée sur un bateau emportant la
fiancée du roi Mark en Cornouailles, qu’a lieu la rencontre de Tristan
et Isolde, et qu’ils y boiront le philtre d’amour au lieu du philtre de
mort ? (…) . Les poèmes de Caroutch qui ponctuent
cet itinéraire nous suggèrent toutes ces données et
bien d’autres encore. .
L’impermanence étincelante des
langues de feu
parfait l’impermanence des jours
tisse et détisse profondeur
largeur et surface
dépouillés de nulle mesure.
(…)
.
Aurores, Juin 1982
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…Blottie dans un flamboiement d’ombres,
jouxtant des rocs et des végétations juteuses, environnée
d’humus et d’astres, dans la densité d’images rares, elle creuse
"l’énigme tigrée qui somnole / au cœur du monolithe".
Contrastes, dans la constellation du Verseau, elle ensemence le grain de
vie baignée d’eau lunaire et bouscule la mort dans le regard d’esprits
traversés de leurs doubles. . Déjà, l’enfant-Caroutch, le
poète de seize ans, voyait tomber des masques sur la mappemonde
magnétisée de la planète. .
Claude Hartman Créations,
1983
.
Aert de Gelder
Yvonne Caroutch tisse patiemment son écriture,
à points serrés d’un mouvement continu, comme si le temps
ne comptait pas. . C’est une semblable démarche qui lui
fait intérioriser ses impressions, enregistrer ses expériences,
avec le souci que rien ne s’estompe ni ne s’oublie. . Au gré de son désir, selon la
couleur des jours, elle puise dans ce pêle-mêle les émotions
et les souvenirs dont elle a besoin – comme une brodeuse assortit ses soies
– pour remodeler son paysage et le faire revivre tel qu’en elle-même
elle le porte. . Par le sortilège des mots et des rythmes,
le poème révèle et fixe les éphémères
et invisibles beautés des heures qui passent. Il est l’autre face
de la vie – celle des initiés – la seule qui soit désirable. .
Visages de l’écriture.
Claudine Helft. Editions du Hameau,1985
..
VOYAGES DU DOUBLE
Éditions Rougerie
et l'Arbre d'Or
Préface de André
Pieyre de Mandiargues
.
Supernova
Photographie de Margo Berdeshevsky
Préface à
VOYAGES DU DOUBLE
par André Pieyre
de Mandiargues
…Je reçus d’une inconnue une petite plaquette
de poèmes intitulés SOIFS, que je rangeai avec soin parmi
mes livres parce que j’avais décelé une sorte d’originalité
déchirante, point très éloignée de la manière
d’Eluard, apparentée avec le surréalisme de jadis - sans
aucune soumission à ses consignes. Selon le feuillet de la prière
d’insérer, la poétesse avait alors dix-huit ans. La plaquette
se trouve toujours dans ma bibliothèque, mais il me semble n’avoir
rencontré son auteur que beaucoup plus tard, ne lui avoir dit que
peu à peu mon admiration, au fil de ses publications, de plus en
plus nombreuses, tandis que s’accroissait aussi mon amitié à
son égard.Seize recueils poétiques ont paru qui, portaient
son nom, tous dignes, à mon sentiment, d’une chaleureuse approbation,
et je ne puis m’empêcher de dire qu’écrire des poèmes
me semble être, pour Caroutch, — aussi évident, tout en restant
aussi compliqué — que vivre. Tout simplement. Aussi indispensable
à la vie, dirai-je encore, que l’afflux du sang à son cœur.Dans
l’actualité, un phénomène qu’autant qu’il m’est possible
je voudrais saluer et souligner est l’apparition d’un nouveau recueil,
le quinzième, important à tous points de vue, d’abord parce
que la jeune femme a modifié son prénom, ajoutant à
celui d’Yvonne celui de Francesca, comme pour marquer une transformation
de son existence, et puis surtout parce qu’il est composé uniquement
de poèmes en prose, genre plus difficile à manier que le
vers blanc, et dont l’accomplissement témoigne d’une plus sûre
maîtrise du langage. Le titre, Voyages du double, n’étonnera
aucun lecteur de l’œuvre de Caroutch, car la connaissance du savoir initiatique
à laquelle il est fait allusion apparaît en progrès
constant de l’un de ses ouvrages au suivant. Je crois que cette œuvre est
également un hommage rendu à la véritable patrie de
Francesca, le Tibet.Aisé à comprendre, le premier poème
n’est-il pas une description et explication du travail du poète
en prose ? Sans doute, et à ce propos, j’en voudrais citer non pas
le texte entier mais quelques extraits, comme un résumé de
l’essentiel :"Au début, ce ne sont que mots lointains, poudrés
de givre, inhabitables... D’autres brûlent au nœud de la gorge muette.
Alors la dictée de l’obscur peut prendre son envol. Gîte amer
et ventre fidèle aux étincelles du doux supplice. Encore
captive des limbes, l’ivresse des commencements. Dégelant l’espace
solidifié, voici ton corps plus vaste que la terre et qui fend des
pluies d’étoiles. Décantée, la parole nue est un justicier
qui marche sur un fil au-dessus de l’abîme."Dans cette décantation
du verbe, on aura reconnu l’application au langage et particulièrement
au court texte en prose, matière parmi les matériaux les
plus difficiles à dominer, un procédé alchimiste,
et dans les opérations verbales qui constituent le noble ouvrage,
autant de mémoriaux des divagations concrètes du poète
sur autant de hauts lieux de notre planète, avec une mention particulière,
sans doute, pour l’Himalaya et le Toit du Monde. Une capacité absolument
exceptionnelle d’invention et de mise en œuvre des métaphores pare
tous ces « mémoires » d’une illustration d’images poétiques
dont la richesse exalte le lecteur qui, page après page, la découvre.
De telle exaltation, que j’ai ressentie longuement, je veux ici. rendre
grâce à Francesca-Yvonne Caroutch, dont le talent est très
grand.
André Pieyre de Mandiargues
.
La montée vers
l’Empyrée. Jérome Bosch
Palais des doges, Venise
. …Voyages du double. Ou voyages du dehors et
du dedans, avec une merveilleuse lucidité, la force du Saint Esprit
et l’attrait de Lilith. Avec aussi, pointe André Pieyre de Mandiargues,
un talent très grand. (…) .
Robert Amadou. L’autre monde,
N° 118 - Juin 1989
.
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Ce livre se place dans la ligne de Tente cosmique,
publiée jadis aux éditions Le point d’Or. Il décrit
les grands voyages intérieurs qui correspondent parfois à
des déplacements dans l’espace, parfois à des déplacement
dans le temps que l’esprit essaie de capter par ou pour un poème. . Au début, ce ne sont que mots lointains
poudrés de givre, inhabitables. Les guetter entre veille et gouffre,
qui taraudent dans le demi-sommeil, qui suintent lentement, qu’il faut
recueillir goutte à goutte, mesurer au fléau d’impalpables
balances. . Si le lecteur n’a pas approfondi tel ou tel
enseignement ésotérique, il ne pourra goûter tous les
parfums secrets de ce mince recueil, mais l’intuition d’une vie supérieure
à la vie, d’un esprit dépassant notre esprit suffit pour
aimer ces textes en prose rédigés d’une main sure. André
Pieyre de Mandiargues ne s’y est pas trompé, qui loue dans sa préface
le talent et le savoir de l’auteur. . Il faudrait un autre livre pour commenter
celui-ci, en éclairer les demi-teintes et en montrer l’unité
profonde : haut lieu où les entreprises fascinantes et dangereuses
du tantrisme sont épurées par la contemplation du Vide, même
quand, dans l’univers profane, "les fleurs de feu ouvrent tout grand
leurs corolles". .
Georges Sédir. Phréatiques
N° 50 - Automne 1989
.
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Pour remonter à la source qui émet
le réel, Yvonne Caroutch (Bestiaire d’éveil, Rougerie) se
confronte aux mythologies, aux religions, aux errances…La philosophie bouddhiste,
la métempsycose, les vies antérieures, « l’identité
» et la « vénération » des contraires
entraînent ses effusions. Nature profonde, grands rapaces, sexualité
avide habitent ces poèmes à l’écriture de plus en
plus sobre et qui dégagent une étrangeté. Le Tibet
et Jérusalem parfois coïncident. Poésie de culture,
de curiosité et de passion…
« L’appel du bouc » balance
la recherche de l’unité perdue au Paradis (« le goût
de la pomme d’avant la morsure »). Tapisserie, galerie
fantastiques : « licorne aveuglante », phénix,
mante cosmogonique, furet galactique bougent dans une projection jamais
passéiste.
…Il s’agit de faire éclater l’idée
du temps. Tout vit, les objets inclus, et participe du Grand Tout. Nos
poussières forment l’espace. Le poète demande au grand Organisateur
de lui apprendre à bivouaquer aux frontières de l’impossible,
là où règne l’Imagination seule. .
Jean Orizet (Poésie
I, Vagabondage. Almanach des poètes,1984)
.
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Ce que les initiés nomment le voyage du
double était réputé être l’œuvre des sorcières.
En voici une alors qui témoigne, à mots à peine couverts,
des conditions dans lesquels cette faculté, autrement dite «
télé-transportationducorpsastral
», offerte à tous, à quelques-uns est donnée,
au cœur de l’expérimentation tantrique de l’amour. La vérité
qui jaillit de ces expériences est d’une simplicité proprement
impensable et pourtant elle ne cessera jamais d’être totalement inexprimable.Seule
la poésie peut s’y essayer quand elle induit, par exemple, qu’il
est opportun d’accepter de nourrir et de se nourrir de « la rosée
des migrations, l’énergie de la nébuleuse dont tout émane
et où tout retourne », ou qu’elle constate que «
les plus fines nervures électriques des amants (sont) reliées
aux constellations dont la lumière ne nous atteindra que dans vingt
mille ans ». Les poèmes de Francesca Y. Caroutch témoignent
du chemin qui conduit à la communion aux « vibrations de
l’énergie à l’état pur » et de ce double,
« minuscule graine, humble comme le jardinier des simples, »
qui sait se déployer et voyager « dans l’étendue
illimitée ». .
Philippe Camby. L’Arbre
d’Or, 1998
.
BESTIAIRE d’EVEIL
(Editions Rougerie)
.
…Le Bestiaire d’Eveil est très beau. Mais
il est terrible – comme de tomber entre les mains du Dieu vivant de la
Bible… Vous nous entraînez dans le cercle, vous nous exaltez la tangente.
Vous nous secouez. Contre le sommeil. Merci….
.
Lettre de Robert Amadou
17 Novembre 1984
.
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… J’ai lu encore une fois votre Bestiaire
d’éveil sans en perdre une parole, du début à la fin.
.
Lettre de André Pieyre de Mandiargues.
11 Mars 1985
.
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La Parisienne d’origine mongole oscille entre
le rêve et l’amour tellurique. La tentation alchimique lui propose
un apaisement dans l’union des contraires. Lire La Voie du Cœur de verre
(1972), Bestiaire d’éveil (1984) et Voyages du double (1988), où
le préfacier André Pieyre de Mandiargues souligne sa «capacité
absolument exceptionnelle d’invention et de mise en œuvre des métaphores.»
.
Régine Desforges
(Poèmes de Femmes, 1993, Editions du Cherche Midi)
.
Eros, Pier Paolo Piccinato
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…Pour Yvonne Caroutch, la poésie, sel
de la vie, est alchimie verbale et spirituelle On comprend qu’elle ait
écrit des nouvelles fantastiques. Nous sommes dans un lieu bizarre,
entre notre monde et l’au-delà. Jean Grosjean a dit les rapports
de cette poésie avec la construction musicale.
…C’est là un poète habité,
de haute authenticité, absolument original. .
Robert
Sabatier - La poésie du vingtième siècle (Ed. Albin
Michel, 1988)
(…) Elle a dix sept ans ! Et c’est une révélation
: l’avènement d’un vrai poète ; du surréalisme à
l’état pur, malgré sa "fureur tranquille d’aimer."
Caroutch est un pur produit de l’émancipation des femmes. La première
de sa génération à se mouvoir à l’aise dans
les émeutes de miroirs, à crier son inquiète joie
de vivre… Erotisme ? Oui ; mais un érotisme magique, où rien
n’est précis, où tout se meut dans la lave d’un volcan à
peine esquissé..
Nos deux corps voyagent dans une nuit
sauvage
dans une opacité de pluie d’orage
Chaque pulsation de ton sang
ranime une croyance fugace
comme une terre promise
(…)
.
Pierre Béarn : L’érotisme
dans la poésie féminine
(Ed. Jean-Jacques Pauvert
- 1993)
.
Bernini, San Francesco a
Ripa. Rome. Photographie Arnaud Frich
.
Francesca-Yvonne Caroutch (poète d’origine
mongole) n’avait pas dix sept ans, et sa voix portait déjà
si bien que Luc Bérimont pouvait voir en elle l’un des deux évènements
de l’année littéraire, l’autre étant Françoise
Sagan. En vers comme en prose, Yvonne Caroutch s’exprime en de fortes et
singulières images. L’angoisse, le fantastique, l’amour, la blessure
du temps, l’onirisme habillent cette poésie comme autant de forces
incantatoires. Une poésie qui régénère les
strates vives du langage et de l’existence. Caroutch est, assurément,
l’une des plus grandes voix féminines de la poésie contemporaine,
avec Joyce Mansour, Thérèse Plantier ou Claude de Burine.
Quelques titres: Les veilleurs endormis (Ned), L’oiseleur du vide (Structure),
Paysages provisoires (Mica), Lieux probables (La fenêtre ardente),
Le gouvernement des eaux (Christian Bourgois), La voie du cœur de verre
(Ed. Saint-Germain-des-Prés), La fête hermétique (Ed.
Saint-Germain- des-Prés). .
Jean Breton. Les hommes
sans épaules.
(Introduction à un
choix de poèmes.Cahiers littéraires. 17/18.
2004)
.
Encore lycéenne, Caroutch dédia
secrètement son premier recueil, SOIFS, à son ami François
Augiéras. Elle se situe exactement aux antipodes de Françoise
Sagan. Fuyant les projecteurs, elle n’apprécia guère
la comparaison. .
.
Francesca-Yvonne Caroutch
par Gérard Paris
... Les métamorphoses du temps et de l'espace, le fantastique
et le spirituel, le désir et la peur, sont les composantes du style
d'Yvonne Caroutch.
. Rejoindre ce point d'or qui perdure avant le passé après l'avenir ce lieu où le temps n'a plus prise son noyau de vide émerveillé comme le franchissement d'un porche
mystérieux qu'ouvrent les caresses donnant sur l'infini.
(Demeures du Souffle) .
Yvonne Caroutch se charge de désintégrer les atomes,
en véritable chasseur de mirages, car elle se situe dans les interstices
de l'espace et du temps :
.
L'habiter à travers les fines fêlures
dans les filigranes de l'espace-temps.(Voyages du Double) .
Le poète possède une sorte de don,
de génie pour inverser les rôles; ainsi ce n'est pas l'homme
qui va au-devant de l'univers mais c'est l'univers qui investit l'homme,
le transforme, le métamorphose :
.
Lorsque tous ses canaux s'ouvrent et que l'univers
s'engouffre dans son corps .
cet homme découvre avec stupeur la
terrible radiance du vide, éblouissant, de la
vie. (Voyages du Double) .
Dans cette intercommunication entre l'espace cosmique
et notre monde interne il n'y a ni frontière, ni voix d'échange
bien précise mais il faut:
.
Aimer les espaces interstellaires autant que
le coeur des hommes. (Voyages du Double) .
Gésine dans les entrailles du temps
immobile qui ont la face noire du chaos mais aussi celle de son essence lumineuse.(Demeures du Souffle) .
Là surgissent dans les poèmes d'Yvonne
Caroutch des différences notables entre gisements de la mémoire
et épaisseurs du mythe, Mythes que le poète s'est chargé
de briser - comme on brise ses jouets - pour mieux les reconstruire, les
revivifier à sa manière. Bannis les souvenirs d'enfance (
les souvenirs ne tintent plus dans la musette
d'enfance ), il faut se consacrer à l'instant, au réel,
au vivant :
oubliant le présent blessé /
la quête sans graal / sentir les nervures exactes du réel.
(Demeures du Souffle) .
Même si le réel s'imbrique, s'osmose
parfaitement avec les muscles de la mémoire, tout se compose et
se forge dans le Théâtre des fractures
de la durée que l'on ressoude à grands renforts d'étincelles
et de métaphores(Portiques du Sel) .
Là, temps fixe (mémoire) et temps
altéré (mythologies) s'unissent pour un
ruissellement d'oracles dans l'iris du temps...(Portiques
du Sel) .
Le fantastique prend deux aspects différents
et qui se complètent : le merveilleux et le surréel. D'un
coup de baguette magique Yvonne Caroutch transforme les étincelles
en une fontaine de lueurs :
.
Pendant ce temps la fée désincarnée brise la prison d'air du sombre enchanteur Une seule escarboucle du feu de la terre et la voici toute embrasée transformée en fontaine de lueurs(Bestiaire d'éveil) .
Rentrent aussi en jeu l'amande qui d'amère
devient douce, la licorne qui s'enchevêtre avec le merveilleux au
point d'en être le symbole :
.
Le merveilleux fait des bonds de licorne farouche. (Voyages du Double) .
Plus loin encore, dans le creux du poème,
la licorne rejoint le royaume divin:
. Fée des glaces la licorne laboure le
champ des écritures divines. (Voyages du Double)
Mais ce fantastique se manifeste d'une manière
plus abrupte, sous un éclairage surréel : alors s'amorcent
les métamorphoses, les anamorphoses, tout ce qui concourt à
créer ce climat propre au fantastique ; les visions de nudités
s'entrechoquent avec les molécules et les cristaux dans un gigantesque
spasme cosmique : Alors l'homme du seuil trace
la calligraphie de la mort sur la feuille vierge de son destin - écriture
droite et nue comme la blanche pensée de la nuit.(Voyages
du Double).
.
Les plus mystérieuses transformations s'effectuent,
témoignant de la plus étrange alchimie : Au
seuil du jardin / tes clefs sont des serpents accomplis / devenus aigles
de braise / dépouillée de toute croyance / la source ne saurait
mentir.(Demeures du Souffle) .
Les galaxies, les constellations s'unissent dans
le cosmos, elles jaillissent, parfois, de l'utérus ou de la matrice
éblouie, les prophéties de la chair se marient avec l'accouplement
des chiens : L'angle vif de l'éternité
/ rêve de boues fondamentales /Plus vite vers le bas /disent les
chiens accouplés dans le vide / La voyance de la chair les font
taire (Bestiaire d'éveil) . Si le fantastique constitue l'un des moteurs des
poèmes d'Yvonne Caroutch, il s'allie aussi volontiers au spirituel
: Il revient toujours / ce fils de la chimère
à vif / Il ignore que les vautours futurs / transmuteront tous les
venins / Il creuse les racines de l'être.(Demeures
du Souffle) . Ainsi le poète sculpte son vertige, dans
un tourbillon d'impermanence - il persévère dans son décryptage
de l'absolu car son ambition secrète est de : Se
rejoindre à la jonction des souffles / où le temps s'abolit
/ découvrir l'autre en soi (Bestiaire d'éveil) . Dans les béances du temps, sculpté
par le vent, l'être forge sa demeure : Demeure
sans felure au bord de l'être, au bord du vent / aussi pure que l'étincelant
burin du zénith (Bestiaire d'éveil) .
... Le désir prend, suivant l'humeur du poète, différentes
teintes. Tantôt c'est un désir écartelé
comme une rose où le poète nous entretient des
cendres du désir noircissant la montagne
ou en d'autres circonstances le désir est symbolisé par une
enclume chauffée à blanc ou bien encore ce sont ces utopiques
cités du désert qui meublent nos fantasmes, nos obsessions.
.
Adjoint au désir, en corollaire inévitable,
figure la peur : Cris pétrifiés
dans la baie / respiration démesurée de l'hyène /
qui ôte et rend le don de folie(Bestiaire d'éveil) . ... Le poète prend son lecteur à parti, lui communique
ses peurs, c'est un poète habité qui transmet ses pulsions,
ses émotions : Nous hantons les brûlots
hasardeux, le feu criant au sein de l'eau cruelle, la passion semblable
aux repas de pierre incorruptible, au faciès de la beauté
marqué par la foudre. C'est la raison pour laquelle l'homme de diamant
erre toujours dans les immensités, un couteau à la main.
(Voyages du Double)
... Ce qui frappe dans les recueils les plus anciens comme Bestiaire
d'éveil ou Portiques de sel, c'est l'absence
totale de ponctuation, seules les majuscules introduisant parfois une rupture
dans la continuité du poème. L'usage du tutoiement, des impératifs
apporte, quant à lui, plus de dynamisme, mais aussi un ton plus
intime dans le poème. Ajoutons à cela la suppression des
articles au début des vers, mettant en valeur le mot isolé.
Le vocabulaire étonne par l'usage intensif des oxymores tels les
dieux sordides, les mendiants éblouissants, le cristal musclé
; si Yvonne Caroutch joue très habilement du clavier des émotions,
elle nous entraîne dans un autre temps, un autre lieu, touchant à
la fois le fantastique et le spirituel, nous incitant à révéler
notre for intérieur car Les dieux nous
parleront face à face lorsque nous découvrirons notre véritable
visage. (Voyages du Double)
Gérard Paris
Paru dans le n°30 de Parterre verbal
. RÊVER
L’UNIVERS
.
Le "je" cosmisant
.
Nous entrons dans le règne
du cosmisant. Nous revivons, grâce au poète,
le dynamisme d’une origine
en et hors de nous.
Un phénomène
d’être se lève sous nos yeux.
.
Gaston Bachelard (La poétique de la rêverie)
.
Je connais une excellente rêveuse d’univers.
Francesca Yvonne Caroutch a choisi de s’abriter sous une Tente cosmique,
titre d’un recueil publié en 1982 (Le point d’or). Elle y évoquait
« l’être dont chaque atome est une étoile ».
C’est, je le suppose, en pensant au Big Bang qu’elle écrivait : . Boire goulûment à ta mémoire de source étoilée
Capter la vibration éternelle
Sous les os muets drogués de lumière archaïque . A l’époque, seul un pressentiment
pouvait lui faire écrire : . Bois l’élixir de ce grand corps de lumière
Son inconscient constellé
Qui fascine les cascades d’univers . Nous pourrions voir aujourd’hui dans
ces cascades une allusion à « l’univers
plasma », capable de multiplier les univers temporaires comme
le nôtre et d’entretenir ainsi un fleuve éternel sans origine
définie et sans embouchure prévisible. . Comment ne pourrais-je pas reconnaître
Yvonne Caroutch comme une sœur dans l’étonnement ? Un étonnement
bien terrestre, d’autant plus humain qu’il se tourne vers les plus vieilles
énigmes du TOUT qui abrite, nous constitue et nous anime. . Pôle magnétique de la question
à la virginité sans cesse renaissante . Son « je » est sans
doute cosmisant, parce que chaque atome de sa chair est une étoile…Mais
surtout, comme le dirait Bachelard, son espace est un « médiateur
plastique » entre l’homme et l’univers. .
Maurice Couquiaud
Aujourd’hui poème,
Numéro 72, juin 2006
Guidoriccio da Fogliano, par Simone
Martini (Sienne, 14° siècle)
*
LECTURE DE GERARD PARIS
Francesca Yvonne Caroutch
CIEL OUVERT (Ed. Encres
vives)
.
Dès 1954, Francesca Y. Caroutch a
alterné la publications de romans - Le Gouvernement des eaux,
Chromatismes, Le grand transparent et le grand écorché
- des essais sur Ungaretti, des Entretiens avec André Pieyre de
Mandiargues, un Panorama de la littérature fantastique - même
si elle demeure avant tout poète, avec quelques titres significatifs:
Les Veilleurs endormis, L'oiseleur du Vide, La Voie du cœur de verre,
Tente cosmique, Voyages du double, Vol de la vacuité... . Sous l'égide de Gaston Bachelard (l'eau,
la terre, l'air, le feu) et d'Héraclite l'obscur (la loi des
contraires), Francesca Y. Caroutch entreprend un cycle de transmigrations
et de transmutations dans la phosphorescence du lieu et du temps
(temps torsadé, sublimé, suspendu, aboli). Dans la soie des
voyages, dans les cycles du désespoir, dans l'huile des songes,
dans l'impermanence, tout se crée et tout se dissout dans la grande
farce cosmique. . Utilisant, comme un serrurier de l'oracle,
les rites aux clés archaïques, le poète nous mène
- par de multiples voies pleines de bruissements, de tressaillements ou
de frémissements - dans la fournaise, dans les racines du désir.Usant
de divers éléments au contenu symbolique (les cloîtres
d'abeilles, les demeures du souffle, la conque, la lampe), le poète
, vagabond de l'azur et sourcier de la foudre, s'immerge dans des rêves
aurifères (brasiers de joyaux, arches de sel gemme, sciure d'anthracite
et d'argent)... . Plongeant dans le sanctuaire de la nature
et dans la grande tente cosmique, Francesca Y. Caroutch voyage, de métamorphoses
en anamorphoses, dans des jours de couteaux, d'éclairs, de miroirs. .
Chaque instant crée
le monde
et patine son mythe
dans l'oubli de nos métamorphoses
.
Dans la matrice déchirée de la terre,
dans la grande clarté originelle, merveilleux, fantastique et spirituel
se nouent et se dénouent dans la grande soupe primordiale. Alors
soudain, pour notre plus grand bonheur: .
De petits
dragons facétieux
conversent
dans l'âtre vide
Nos sommeils
moirés se peuplent
de palmeraies
mythiques
.
Ciel ouvert, à l'ombre de
la peur, les yeux murmurent dans la prunelle du vide.
Gérard Paris
Verso, 129 (2007)
Anges au-dessus de Sarajevo, photographie
de Evgen Bavchar
*
Francesca Yvonne Caroutch
ou Les mots sacrés
qui guérissent
Par Jean-Luc Maxence
.
...Francesca Yvonne Caroutch considère,
à juste titre, la poésie comme l'un des derniers refuges
du sacré. Jean Rousselot et Luc Bérimont saluèrent
ses premiers recueils avec enthousiasme. Robert Sabatier parle, à
propos de son oeuvre, d’alchimie verbale et spirituelle. Le maçon
Serge Brindeau évoquait une angoisse surmontée, des allégories
impossibles à décrypter, un univers peuplé de breuvages
enchantés et de démons contradictoires. . F. Y. Caroutch, qui écrit de la poésie
depuis ses années de lycée, a su en faire une nourriture
quotidienne. Au fond, son univers symbolique propose des mots de passe
qui guérissent l'âme, des mots qui dansent et que l'on partage
fraternellement. L'un de ses derniers recueils parus, Ciel ouvert
(Encres vives), proclame avec force et magie: .
Du dialogue au fond
du noir
naît la claire
lumière
.
Cette croyance intime, au fond d'inspiration très
maçonnique, lui fait chanter: .
l'éblouissant retour
d'une semence
dans les entrailles de
l'avenir
.
L’œuvre poétique de Caroutch, traduite
en anglais, en italien, en japonais, même, considérée
dans son ensemble, est un hymne aux symboles qui font vivre et réunissent
souvent la bas (la Terre) et le haut (le Ciel). Le grand Gaston Bachelard,
dès ses premiers vers, écrivait de cette passionnée
des mythes fondateurs: "Je note cette nuance délicate de l'imagerie
bienfaisante: Caroutch, avec Les Veilleurs endormis, entend l'aube
citadine quand la ville a des rumeurs de coquillage vide. Cette image,
elle m'aide, être matinal que je suis, à me réveiller
doucement, naturellement." . Egalement essayiste de talent, auteur d'un
Ungaretti dans la collection Poètes d'aujourd'hui (Seghers), Caroutch
a su aussi étudier Le mystère de la licorne, à
la recherche du sens perdu (Dervy). Nous aimons quant à nous
sa façon de chanter une éternelle "action de grâce
du silence" et "l'espace devenu musique". Comment en effet ne pas saluer
ici, justement, dans "La Chaîne d'Union", une femme qui proclame
à la face du monde: .
Chaque grain de
lumière
est une terre promise
.
Avec ou sans tablier, comme on dit, elles sont
rares, les sœurs qui savent dire:"l'exacte épure du désir"
répondant "au cloître des abeilles", surtout lorsque
"dans le mortier du temps, des fées microscopiques agitent des
cristaux, au pied de la lune"? Raison de plus pour s'en réjouir. .
Jean-Luc Maxence
(La Chaîne d'Union,
2007)
Quelques travaux universitaires
sur la poésie de CAROUTCH
.
Mémoire de maîtrise de Danièle
Monate
Université de la Sorbonne nouvelle.
Paris III Censier. 1974
(Sous la direction de Michel Decaudin)
Etude de Camille Aubaude, dans POESIE
DE FEMMES - Juin 2001
Extrait - Les lectures d’Yvonne Caroutch
"Je n’ai pas de poétique à
vous proposer" annonce Christa Wolf dans une "conférence
de poétique". Elle constate, dictionnaires à l’appui,
que la femme n’en "possède pas", reprenant avec force et
virulence le discours dominant qu’elle entend subvertir. Les poétesses
du XXè siècle sont encore vouées à agir en
tant qu’éternelles mineures, égarées dans le tohu-bohu
d’œuvres sans repères, à l’heure où la maternité
ne peut être qu’une fonction naturelle, et jamais un lien spirituel,
comme l’illustre le cas archétypal de Danièle Sarréra
[1][13]. L'existence d'une "grandepoétesse" contrarie
et provoque. Elle est inévitablement rejetée, et les manuels
scolaires autant que les anthologies soulignent le manque de signification
des œuvres féminines ou les confinent dans des ghettos. . Une de ces poétesses, Yvonne Caroutch,
témoigne de sa différence en recourant aux mythes féminins
[2][14] et en se penchant sur les textes de femmes qui les ont illustrés.
Grande oubliée de l’Anthologie en trois volumes de la poésie
du XXè siècle des éditions Gallimard, elle a édifié
pierre à pierre une poétique égrenée dans
Bestiaire d’éveil, dans Demeures du Souffle, Voyages
du Double, Vol de la Vacuité et d’autres recueils inscrits dans
la lignée des trobairitz et des Fidèles d'Amour. Et elle
a publié plusieurs essais sur le mythe de la Licorne, dont le Livre
de la Licorne (1988), où elle s’engage dans le commentaire pour
livrer une interprétation personnelle. Cette figure transcrit une
quête spirituelle, c'est-à-dire l'approche de l’énigme
de nos origines, par la voie d’un retour à la non-dualité,
à la clarté originelle. . Dans une langue épurée, Yvonne
Caroutch renoue avec des personnages disparus de la Renaissance italienne,
grâce auxquels elle élargit la sphère de sa réflexion
et le champ de son expérience. Dans un jeu de va et vient entre
la lecture et l’acte d’écriture, elle perpétue la tradition
d'une parole féminine où tout fait corps. Elle redécouvre
des femmes oubliées, toujours celles dont les œuvres cristallisent
des préoccupations intenses. Mue par un sentiment de sonorité
féconde, elle explore leur langage, leur image et leurs doutes.
Ce n’est pas un des moindres intérêts de ce processus de retrouvailles
du monde intérieur, dans des vers ciselés par une ferveur
étrange, que de tisser un réseau reliant des personnalités
féminines à une parole poétique fondée sur
la connaissance. . « Consience béante et bleue
de l’éther/fulgurance de diamant noir » [3][15], la poésie
d’Yvonne Caroutch, nourrie par les métaphysiques orientales, divulgue
également des lectures de femmes alchimistes, telles que Christine
de Suède, dont la démarche alchimique est plus technique
que poétique, ou Dorothée Wallichin de Weimar, dont les textes
codés, d'une grande densité ne sont pas entièrement
traduits en français. Il n’est pas de texte originel sans interprétation.
À partir de ces sources, Yvonne Caroutch sait donner des accents
lyriques aux principes alchimiques, les convertir en une célébration
de quelque chose qui ne passe pas et ne meurt pas. Bianca Capello, l'épouse
de Francesco Primo de Médicis, dont les écrits ont été
détruits par les Médicis, l’a beaucoup inspirée, en
particulier pour les jardins alchimiques qu’elle a fait construire avec
son époux à Pratolino. Pour parachever cet espace de mémoire,
Yvonne Caroutch donne aussi son interprétation des femmes alchimistes
de l’époque alexandrine, dissimulées, dans les dialogues
alchimiques, sous les noms d’Isis, de Cléopâtre et de Marie. . L’étude de l’alchimie culmine dans
le recueil intitulé Tente cosmique, trente poèmes qui diffusent
l’alchimie ténébreuse de la "parole inutile", du lyrisme,
de l’orient mélancolique et de la quête initiatique : .
"Nature vide de toute nature
pétrifiée pourtant tourbillon
Invisible le paon sidéral
pivot fou de l'enfance
Hauts pétales et pistils
dans le charnier des choses dites
Pulsions de la divinité cristalline
dans le lac de saphir étoilé
L'air palpite dans la maison de caresses
Terrassée par les joies éphémères
dont la texture est le vertige qui
se tait
Joies sphériques et vagues de
dons
du sentier qui murmure "suis-moi"
Taches ingrates fagots obscurs
Qui embraseront les nuits blanches
le cours des astres des saisons
incapables de réfléchir
Déploiement des grandes images
vivantes
jamais venues jamais parties
dans le vivier inaltérable
Tympan secret pour le tantra du sol
et de la parole inutile » [4][16].
. Ces références sont distillées
avec la clairvoyance et la finesse qui siéent aux esprits passionnés,
aux explorateurs de mystères et aux amateurs d’invention. Loin de
s’afficher de façon dogmatique, elles s'infiltrent et se diffusent
dans les poèmes. Là est sans doute le propre - et la difficulté
pour le commentaire - des lectures assumées par les poétesses.
La dilatation des sources livresques fait partie intégrante du travail
poétique. L’imaginaire ne fait pas obstacle au savoir. Il est propulsé
par l’érudition, par la méditation et la connaissance de
soi. Pour Yvonne Caroutch, il ne s’agit pas de dire : "Telleestmoninterprétation", mais de transmettre une expérience
initiatique, le chemin d’une conscience éprise de beauté, .
"[…] pour annoncer les épousailles
de l’âme obscure des rivières
et de nos soifs multipliées"
[5][17].
.
Camille Aubaude, docteur
es lettres
(Le mythe d’Isis et le voyage
en Egypte de Gérard de Nerval)
(Couverture: Barthélémy
van Helst. Musée de Dijon)
.
Lectrices, La Littérature
au miroir des femmes
Editions EUD (Editions universitaires
de Dijon), 2004
(4 Boulevard Gabriel, 21000,
Dijon)
Licornes du palais de Carbognano (Latium)
LA SEULE IMAGE
(Ciel ouvert)
.
En ce fondu dans la lumière du soir les
regards se confondent. L'alchimie verbale glisse sa main pour ouvrir les
genoux du temps sous l'entonnoir de la lune. Le cosmos se laisse faire,
l'être se laisse engloutir. Il relève la robe du minéral
et du végétal pour voir dedans et entendre sa vibration. . F. Y. Caroutch montre, consent afin que le
lecteur soit déja presque dans son brasier, ivre de son dévoilement.
La poétesse sait tout de lui, c'est pourquoi il se prend à
ses mots, à leur neige brûlante. Elle le soulève, elle
le tend. Il ne sortira plus de son emperlement. Le lecteur glisse, avance
tendrement dans l'arcane du cosmos. Chair à chair, le désir
amassé. La braise, le soupir. . La robe du temps est sur le plancher des vaches.
Le monde respire très fort, rappelé à lui-même
par les mots à "ciel ouvert". Mais le corps dedans. Sa faille
si intime, si chaude, si humide comme une aube. Le gouffre du corps se
remplit peu à peu dans le cercle d'une emprise mystique. . Les mots, au-delà de la mort, au-delà
de la vie vont jusqu'à l'épuisement. leur existence trouver
la force de vivre contre le peu qu'elle est. Ils acceptent l'aveu, réclament
le "scandale". Dans leur lointain existe cette proximité aussi agissante
qu'étrange là où. .
Le monde est une lamelle de quartz
insaisissable épaisseur
qui ne fait qu'apparaître
et disparaître inlassablement
.
Jean-Paul Gavard-Perret
Jointure N° 86. Septembre
2007
.
Cerès. Bois sacré de Bomarzo,
Latium
UNE POETE ALCHIMISTE
Dans le palais de l'or du temps
être la cible et la flèche
.
Tout poème de Francesca Yvonne Caroutch
est ainsi à la fois la cible et la flèche, la cible qui reflète
et la flèche qui transperce l'univers jusqu'au coeur du mystère. . Lire une ligne, une page, une strophe, ou
même un seul vers de Francesca, c'est accéder au seuil de
l'énigme essentielle, celle de notre être-au-monde, toujours
dans l'oscillation entre absence et présence. . En elle, dans son existence comme dans son
oeuvre, si vaste et si riche, ne cesse de résonner, au rythme même
du mot, le "qui vive !" de la poésie. L'alchimie du verbe que prônait
Rimbaud et que les surréalistes ont tenté parfois d'accomplir
est spontanément créative dans la pensée et dans les
écrits visionnaires et lyriques de cette poète du chant profond. . Cette adepte des voyages au long cours, qu'ils
soient terrestres, de Florence ou de Venise au Tibet ou aux Indes, ou spirituels
dans une quête de l'absolu, n'est-elle pas la soeur onirique défiant
les lois du temps - de la Dame à la licorne? Elle l'est aussi d'un
Giordano Bruno, dont elle sait évoquer fraternellement la grandeur
et le sort tragique. Elle fait de même pour le poète toscan
des Chants orphiques, Dino Campana, qu'elle a traduit et qu'elle révéla
au public français. Dans le poème qu'elle dédie à
sa mémoire sous le titre "La passion selon Dino Campana",
elle écrit : .
Il faudrait citer l'ensemble de ce grand et beau
poème. Il faudrait citer tant et tant de beaux, d'intenses poèmes
de Francesca Y. Caroutch. Tous nous entraînent vers un domaine à
la fois fascinant et inquiétant, et toujours d'une étrange
et vive beauté. . Merci, Francesca, pour votre haute poésie,
"dans la transparence des grandes métamorphoses".
.
Georges-Emmanuel Clancier
(Octobre 2007)
.
Vision secrète du 5°
Dalai lama (XVII° siècle)
Sous le signe de la licorne, symbole qui relie
terre et ciel, visible et invisible, la poésie de Francesca Yvonne
Caroutch constitue un "voyage" à elle seule, une migration
des énergies mystérieuses, suscitant chez le lecteur vibrations
et ouverture vers "l'étendue illimitée"de l'imaginaire
délivré. La poésie de Caroutch trouve sans doute ses
origines autour des années 1980, lors de ses pérégrinations
en Inde, au Népal, au Tibet, notamment. Certes, l'essayiste Yvonne
Caroutch, auteur d'études sur Giordano Bruno ou Richard Wagner ou
encore Gustav Meyrink, témoigne d'un certain chemin initiatique
incarné, mais ses méditations poétiques s'avèrent
une permanente quête de quintessence, dans le sens alchimique du
terme. Nous ne sommes jamais avec elle dans une sorte de synchrétisme
maçonnique un peu flou et trop facile. Nous sommes plutôt
entraînés "dans l'alambic des limbes aux joies torrentielles"
quand se consume, en effet, "le vin d'amour que ni vin ni eau ne peuvent
éteindre, tandis que le chant du rossignol enchante le miroitement
des cascades"..Si
l'adjectif "cosmique" convient à quelqu'un, c'est bien à
ce poète!
.
Anthologie de la Poésie
Maçonnique et Symbolique
Jean-Luc Maxence et Elisabeth
Viel (Editions Devy, 2007)
.
JEAN-PAUL GAVARD-PERET A LU ET COMMENTE
POUR VOUS
CIEL OUVERT (Encres vives)
.
Les choses sont des esclaves muettes, résignées
à leur état, sans discussion aucune. Elles sont ce qu'elles
sont dans la servitude et le silence, même si .
Le monde est une lamelle de quartz
insaisissable épaisseur
qui ne fait qu'apparaître
et disparaître inlassablement
.
Dans cet univers, à la différence
de choses, l'être éprouve sa servitude et son besoin. Et c'est
pourquoi il est ce mendiant qui veut s'extirper du mortier du temps, car
il sait que .
Des fées minuscules
agitent des cristaux
.
Pour lui, dans sa condition double et unitaire
d'être vivant, l'apparent inerte réunit sa propre exigence
et sa propre servitude par rapport à la complexité de
la structure du monde dont l'alchimie (si décriée pourtant)
lui fournit quelques précieuses données. F.Y. Caroutch nous
le rappelle à bon escient. Dans la maison de l'être perdure
cette "rosace enflammée au centre du désir", pas n'importe
quel désir, pourtant: celui où .
nos galaxies de nomades nous rejoignent
dans le vertige de notre mort provisoire
révélant le langage des
plantes
et celui du silex lourd d'étincelles.
.
A ce titre, le monde est lumière:
l'être le réclame parce qu'il est soumis et dans le besoin.
Et c'est parce qu'il devient à ce titre mendiant de l'univers qu'il
a un début d'exigence. La poétesse n'a de cesse de développer
au sein non d'images mais d'une cosmogonie qui, par effet retour, souligne
le dénuement de l'être, son manque de quelque chose ou son
manque tout court. C'est à la fois la première et la plus
achevée des formes de la conscience. C'est aussi un sentiment originaire
que l'auteur de "Ciel ouvert" déploie, s'adressant concrètement
à nous pour un supplément de conscience. L'être est
donc un roi aussi mendiant que nu, mais auquel la poétesse rappelle
le besoin supérieur et qui devient exigence. Il s'agit de penser
le monde au sein d'une vision cosmogonique dont sourd la nostalgie née
du refus de l'éloignement, de l'absence, de la distance de soi à
soi, de soi au monde. Bref, il s'agit d'ouvrir à une incorporation
du non-être à l'être et à l'univers. Et ce dont
souffre l'être, c'est d'y avoir renoncé. A ce titre, F.Y.
Caroutch rappelle la quête de Maria Zambrano dans "L'homme et
le divin" pour lequel l'homme platonisant est le mendiant le plus satisfait.
A une différence près, cependant: l'être de la poétesse
francophone n'est pas éprouvé par le fait d'être un
corps. L'auteur l'accepte, le reconnaît, car la condition humaine
se donne d'abord à travers le corps vibrant. En révélant
ce qu'il éprouve, il ne cherche plus seulement à en chercher
le contre-poison, la contrepartie. Adoublé à ce qui le fait,
il en devient une source d'action. L'auteur nous ramène ainsi à
un sentiment originaire. Elle ne s'en satisfait pas, mais elle sait que
par la matière même qui nous fait se trouve ce qui nous unit
à ce qui nous dépasse et nous permet de toucher au .
sens caché
comme le pouls du cosmos
dans les ruches des montagnes
.
C'est ainsi que distillations, calcinations, sublimations,
bref tout ce que l'alchimie touche représentent autant de caresses
de la grande prêtresse dont l'auteur devient épigone, apôtre,
vicaire. Manière de dire à l'homme: ose qui tu deviens, ose
le génie de ton lieu (puisque c'est lui qui te fait), dans une extase
aussi physique que mystique. Elle seule .
fait briller davantage
le feu dans la crypte
On peut aussi appeler cela l'extase nue.
.
Jean-Paul Gavard-Perret,
Traversées, Automne 2007
.
Atalante fugitive de Michael Maier
Gravure de Theodor de Bry (1618)
NAISSANCE QUOTIDIENNE
(Ed. Encres vives, 2009)
.
Au mitan
de la nuit
le poème
suzerain
est
ce non-lieu intemporel
où
l’or du temps est la couleur du vide
.
Entre les obscurs faubourgs mythologiques et les
architectures fantômes, entre la plaine de la vacuité et l’entrelacs
cosmique gît une grande faille, fêlure du temps aboli. Pythies,
oracles et présages animent les territoires des Parques et de Perséphone
: cerné entre les crues d’autrefois et les fractures du futur, l’homme,
désorienté, erre dans les arides territoires de l’intérieur: .
Au pays des
essences pures
des gestes
parfaits
tu poursuis
ta quête forestière
.
Sur le lac aux images brouillées se reflète
le paysage inversé, entre les courants volcaniques et les constellations
de diamant. Du pays des légendes au vol plané des faucons,
les extrêmes fusionnent, les sons nous pénètrent et
dans le feuillage divin apparaît la déesse:
Partout veille la grande déesse
pure
phosphorescence
des
choses en soi
.
Par la conciliation des contraires, par le dépouillement
des mythes, Francesca Y. Caroutch aborde les rivages ensorcelés
où le poème pénètre par effraction. Dans l’espace
devenu musique, lumière et silence se marient dans le laboratoire-oratoire
de poésie. Naissance quotidienne, éveil de la vie
et de la mort car "Ta nature originelle est rayonnement" .
Gérard Paris (Mensuel littéraire
poétique. N°365, avril 2009 )
.
CLAMEURS NOMADES
(Éditions du Cygne, 4 rue Vulpian
75013. Paris)
.
La poésie de Francesca Caroutch permet
la jonction de l’altitude la plus vertigineuse avec le corps, dans
ce qu’il a de plus temporel, d’instantané et de plus tellurique,
et donc de plus abyssal. C’est à traverslui que le poème
donne le point d’appui et de référence à l’incommensurable.
Ne nous y trompons donc pas : chez elle, la métaphysique vient autant
d’en haut que d’en bas. Du ras de la conscience, voire même de dessous
la peau de l’inconscient.Mais cette métaphysique (fruit - qui sait
? - de la jouissance liée à l’amour et à la connaissance)
demeurerait naïve et sourde si elle ne passait pas par le filtre de
la conscience. Toutefois, il ne s’agit pas de transformer la bête
en ange, mais simplement d’ouvrir une nouvelle dimension à la jouissance. .
Les plaisirs des sens
auxquels on ne s’attache pas
sont les ailes de l’esprit (page 41)
.
Tout est là. C’est le moyen de sceller
l’homme à l’univers dans une dimension essentielle.A travers cette
poésie, de réelles visions inspirées souvent par des
espaces italiens se mêlent aux fragments de mémoire. Ils contrastent
avec le motif intime - lieu clos où s’absorbe sa vie et s’accomplit
sons œuvre. Francesca Y. Caroutch donne à la nature humaine l’effusion
du nombre. Tout dans son livre est en mouvance pour le « signal »: .
Eclair bleu dans la faïence de l’été
(30)
.
Au sein de la rencontre d’images chères
à l’artiste nait une création originale qui ne dissimule
pas une propension à dévoiler une intimité. Cependant,
on est bien loin de ces « évocations domestiques » où
s’éprouvent une sociabilité apaisante ou encore une attention
portée aux images furtive d’un paradis d’enfance.Si le poète
cède parfois à la brisure contre l’intégrité
de l’étendue, c’est bien cette dernière qui est recherchée.
En conséquence, ce qui devient saisissant d’un point de vue poétique
est précisément le paradoxe d’une écriture vouée,
de livre en livre, à communiquer une véritable phénoménologie
cachée de la vie, dans ce qu’elle a de plus intime et de plus large
aussi. .
Jean-Paul
Gavard-Perret (N4728, N°17, janvier 2010)
.
Bouddha (Grottes de Dunhuang. Photographie
de jean Dif)
.
Ondulations de caravanes
Au dessus des seuils ardents
Enfants exécutés pour
haute trahison
Danse du paon liturgique
Nomades en esclavages
Fleurs de givre dans le cœur
.
Célébrée par Bachelard, Mandiargues
et Bérimont, Francesca Y. Caroutch a publié depuis Soifs
une vingtaine de recueils de poèmes avec des titres significatifs
: Les Veilleurs endormis, La Voie du cœur de verre, L’oiseleur du vide,
Voyages du double, Demeures du souffle, Vol de la vacuité, etc.Suivant
les orbes de la rivière et de la pensée, Francesca Y. Caroutch
dresse une architecture invisible entre l’assourdissant silence des
galaxies et la tente originelle avec, entre les deux, une nature généreuse
et luxuriante.
Entre le chatoiement des apparences et les
douves de l’âme, entre les champs de l’éveil et les pulsations
du temps immobile, de la conscience de l’instant et à la
conscience de l’éternel, tout n’est que
transmutations, transgressions dans « la lessive cuivrée du
crépuscule » (Arthur Rimbaud).Dans un univers où les
mythes s’écorchent sur les rochers, Eros dépecé accompagné
d’Hécate et de ses chiens sont les architectes de nos désirs: .
Dans
les canaux de nos corps s’engouffrent
îlots palais campaniles sublimes
Puis
tout se résorbe dans la vacuité
.
Dans le grand chaudron primordial, les musiciens
des abysses côtoient les grandes fresques du vide et croisent d’étranges
caravanes .
Bivouacs et caravansérails/ Voile frémissant des fournaises
Lisières illisibles se dissolvent dans le vide
.
Tout ondoie, tout se meut, tout se résorbe
dans les gouffres du plaisir, dans les abysses du passé. La poésie
de Francesca Y. Caroutch brûle d’un feu intemporel nimbé d’une
coloration fantastique.Clameurs nomades ou l’éclosion de
la rose mystique et charnelle… .
Gérard
Paris (Diérèse 47, 2009)
.
Photographie de Nicéphore Niépce,1926
.
Auteure aux multiples facettes, romancière,
traductrice, spécialistes des symboles et des mythes (dont celui
de la licorne), Francesca Caroutch est aussi (surtout ?) poétesse,
comme en témoignent la vingtaine d’ouvrages qu’elle a publiés
en poésie et dont l’un a reçu le prix Louise Labé.
Dans le présent ouvrage, en vers libres et généralement
courts, elle nous entraîne dans les filigranes d’une nature, omniprésente
dans toute sa pesanteur sensorielle, avec. .
le loup bleu des steppes
stellaires
entre l’Ourse et le Grand
Chien (p.80).
.
Mais l’envol spirituel se cache évidemment
derrière la pesanteur du concret, la nature est transparente de
sa transfiguration même par les couloirs du rêve. A ce jeu,
où le langage est sentier obligatoire vers l’être, l’auteure
excelle, avec une richesse d’images qui est le signe de la plus pure poésie:
.
Fauconnier de dieu
brandissant ton âme sur le poing
tu contemples sans fin la montagne
(p.23).
.
Ou encore, et pour conclure :
.
Féerique ce jardin nocturne
suspendu entre ciel et terre
dans une sérénité
de fin du monde
Il ressemble à ton âme
inondée par la clarté
de la lune (p.58).
.
Georges
Friedenkraft. JOINTURE, Mars 2010
Orvietto
.
Lorsqu'on essaie de rejoindre "l'esprit universel"
et d' "apprendre l'écoute des mondes", quand "tout ce que tu contemples
de l'intérieur est à toi", la vie s'ouvre à la quête
de l'esprit et des sens. Mais il s'agit de regarder autrement les choses
simples qui disent l'alliance de l'homme et du mystère primitif.
Alors, nous pouvons voir "les nymphes dans le coeur des tubéreuses",
et entendre "les musiciens des abysses." Table de résonnance,
le monde est à l'épreuve de la vie intérieure et de
"l'inconscient de la nature", sous les astres qui "blessent et guérissent":
Energie à l'état brut / se fondre en toi / Réel si
gorgé de sens / qu'il n'a plus rien à révéler.
Mais rien n'est aisé.Tout procède
d'un combat, car "le défi est la clé" et l'Eden, un devoir,
une charge. Ainsi témoigne-t-on des marques de l'enfance dans cette
dédicace aux tiers : "Nous survivions / car nos murs étaient
faits / d'amour et de lumière." Venu de si loin, l'espoir rayonne,
dans "l'attente d'un anachorète qui sauve(ra) le monde, pour que
notre joie "de rien du tout" se trouve face à l'éveil sur
"le radieux chemin de la marche éternelle." Le couple est très présent dans
ce recueil. L'homme, le premier initiateur est celui qui "né de
l'espace, survint avec ses armes magiques". Enlacés, les amants
survolent les collines, dans un monde vu nouveau, où "les phénomènes
sont des fleurs" où "les îles vont et viennent" pour vivre
la fusion avec "les larmes d'Eros dépecé /patiemment recousu". Pour Francesca Y.Caroutch, tout passe, sauf
la poésie, qu'elle imagine "foi vivante des anciens / culte voué
aux trépassés de l'avenir". Entrez donc. Ici, on invite.
J'ai toujours eu la plus grande considération
pour votre présence en poésie et pour vos travaux.
Yves
Bonnefoy. Extrait d'une lettre du 23 mars 2011
.
Votre"Maison de l'Aurore" me fait rêver,
mais pas autant que vos poèmes. Les Enfants de la foudre
me foudroient quotidiennement et m'entraînent dans des mondes où
je n'espérais plus aller. Emu, émerveillé par vos
fleurs et fruits de foudre, merci.
.
Jean Chalon, 14 juillet
2011
.
Max Ernst
Je me sens chez moi dans tes poèmes et,
en effet, c'est la même patrie spirituelle que celle qu'offrent les
textes de François Augiéras, que je ne cesse de relire.
Jean-Yves Masson, 5 octobre
2011
.
Buffalo bordj. Oasis d'El Goléa
Les enfants de la foudre constituent un
très beau recueil, uni de ton et de quête... Il y a une inspiration
médiévale et renaissance dans vos mots, qui ajoute au mystère
une évidence d'enracinement dans cette histoire que nous vivons,
au-delà ou en marge de l'histoire.
La foudre est bien là.
Salah Stétié.
22 septembre 2011
.
La puissance d'évocation et surtout votre
art si personnel de situer l'homme dans son univers suggèrent la
richesse possible de leurs relations si constamment réduites. Oui,
ce livre me touche.
Jean-Pierre Siméon,
4 octobre 2011
.
Jugement dernier du Moyen Age. Grotte
de Brantôme. Dordogne
Le Magazine littéraire
(Mars 2012)
.
FORMULES ALCHIMIQUES Les
enfants de la foudre, Francesca Y. Caroutch, éd. Rougerie, 58
pages, 12 euros..
.
Francesca Y. Caroutch , qui doit son prénom
italien à la volonté d’André Pieyre de Mandiargues,
est l’auteur de plus de trente livres de poèmes, dont les premiers
remontent à son adolescence, et sont d’une maturité qui stupéfia
Pierre Reverdy et Gaston Bachelard.
On lui doit des romans, des essais sur les
grands symboles alchimiques (notamment la licorne, dont le mythe, entre
Orient et Occident, nourrit toute son œuvre), mais aussi sur le bouddhisme
tibétain, dont elle rencontra l’enseignement à travers des
maîtres comme le 16° Karmapa (Rangjung Rigpe Dordje,1924-1981).
L’un des grands confidents de sa jeunesse fut
François Augiéras, l’auteur du Voyage des Morts et
d’Un voyage au Mont Athos, dont l’ombre tutélaire l’accompagne
toujours : il est l’un de ces « enfants de la foudre » que
célèbre ce nouveau recueil.
Francesca Y. Caroutch a placé son œuvre
sous le signe d’une exploration assidue de l’imaginaire qui puise à
des sources diverses, du panthéisme de Giordano Bruno aux recherches
de Carl Gustav Jung sur les archétypes.
Mais, pour bien la lire, il faut d’abord se
laisser porter par la magie des images. Elle sait transmettre à
ses lecteurs une sagesse lumineuse, exigeante et puissamment réconfortante.
;
.
Extrait
.
CONSTELLATIONS DE NOMADES
.
Nul accroc dans la soie des voyages .
Mendiants d’amour lorsque vous percez nos nuits fragiles saisissez-vous l’or volatil de nos poèmes .
qui dorment tout habillés comme les nomades .
Pourtant, notre peuple intérieur chevauche monts et merveilles entre la douleur et les astres .
L’extase du vide vous guérira de la maladie du temps
.
Les Enfants de la foudre,
F. Y. Caroutch
Jean-Yves Masson (Le
magazine Littéraire - mars 2012)
.
L'Ange de la Révolution
au Sahara (François Augiéras. vers 1960)
.
.
Foudroyé, moi ! Tadao... Il n'y a donc
pas de hasard. Mais quand il s'agit de quelqu'un comme Francois Augiéras
et de vous, et que, dans ce lien si divin, une tierce personne comme moi,
devienne un intrus, totalement, à son insu, c'est tout de même
tout à fait ahurissant !
Sur ce grand aventurier - gudôsha - je
ne savais rien. Et vous êtes allée chercher cet extraordinaire
texte de M. Olivier Houbert - que je ne connaissais pas du tout non plus
- jusque dans les débris causés par ces miserables bandits
destructeurs de votre salon, j'en suis d'autant plus ému à
l'extrême. Ma chère ancienne petite "Japonaise" ! Enveloppé de nombreux beaux timbres,
votre Enfants de la foudre m'est arrivé il y a trois jours.
Je le lis, le souffle coupé de surprise et d'euphorie. Pour moi,
si pauvre en vocabulaire, d'abord, c'est une forêt d'autant plus
pleine de mystères. A chaque mot, je dois m'arrêter, souvent
consultant le dictionnaire. Sagesse et sensualité, qui vont de pair
en vous, me saisissent à chaque moment, me ramenant vers quelque
source essentielle. * Note : Il s'agit de La littérature
et l'exigeance spirituelle : André Malraux et François
Augiéras d'Olivier Houbert, paru dans Augiéras, une
trajectoire rimbaldienne. Ed. Au signe de la Licorne,1996. Tadao Takemoto
y est cité six fois.
Lettre de Tadao Takemoto
(Extrait), Tokio, 11 juin 2012
.
Ami de Mishima et d'André Malraux, qu'il
traduisit au Japon et avec lequel il réalisa des Entretiens, aux
Editions de la Licorne, en 1998. Il publia André Malraux
et la cascade de Nachi, chez Julliard, en 1989, ainsi que la traduction
et la présentation des "Chants du gué", de l'actuelle impératrice
du Japon, Michiko. (Ed. Signatura, 2006.) .
.Tadao
Takemoto. Tokio, 2011
.
In RECOURS AU POEME
par Antoine Beck
Les enfants de la foudre
Francesca Y. Caroutch
À la lisière du dehors
et du dedans
le lieu est la marche sans but
[Mirabilia]
.
Chaque parution d’un recueil chez Rougerie demeure
un événement. Quel catalogue ! On retrouve là nombre
des principaux poètes du dernier 20e siècle, et du début
de ce siècle. De beaux livres encrés au plomb et dont il
faut comme autrefois découper les pages, imprimées sur beau
papier sur les propres presses de l’éditeur. Depuis l’origine, celle
de la création de la maison d’édition par René Rougerie,
et jusqu’à maintenant, la maison étant reprise par le fils
Rougerie. . Francesca-Yvonne Caroutch donne, avec ces
enfants de la foudre, un superbe recueil marqué par la force,
la beauté et la sagesse d’une vie de recherche intérieure,
en dialogue avec l’univers. Ce n’est pas rien, la poésie, quand
elle atteint à un tel degré d’évocation, une telle
plongée dans les méandres de l’être. Du reste, sa poésie
a d’emblée été remarquée, dès Soif,
recueil paru en 1954, par des noms qui tintent aux oreilles : Reverdy,
Paulhan, Jean Grosjean, André Pieyre de Mandiargues ou Gaston Bachelard…
Excusez du peu ! . Recours au Poème se joint à
la lignée de ses admirateurs tant la poésie de Caroutch dit
notre préoccupation, celle d’en appeler à la poésie
comme cœur de la vie, face aux dérives mortifères de ce monde
d’apparences et de sordides illusions. Rien de « guerrier »
en cela. Juste un regard réglé sur le monde du réel. . Les enfants de la foudre réunit
en une quarantaine de poèmes exceptionnels les différents
aspects de la préoccupation de Caroutch, cette vision au-delà
du voile de l’illusion, depuis son expérience des traditions tant
européenne qu’orientale, traditions dont sa poésie montre
combien elles ne sont pas si éloignées quand on les regarde
plus comme des complémentaires que comme des contradictoires : .
Les apparences nous enveloppent
Mais leur essence est vacuité
.
[Crépuscule d’un mythe]
.
Dans cette poésie, la Parole circule en
quête de lumière retrouvée, comme un appel à
l’endormie pour reprendre le titre de l’un des poèmes. Tout est
alchimie dans l’œuvre de Francesca-Yvonne Caroutch :
.
Accalmie
.
De minuscules créatures
vivent parmi nous
Elles nous observent
blotties derrière
les armoires
dans une coquille d’œuf
ou dans l’âtre éteint
.
Ne jamais oublier
leur offrande de fleurs
de quelque menu joyau
ou d’un grain de blé
.
Elles nous apprendront
à savourer l’ambroisie
de l’inconcevable enchaînement
des choses
.
Il est clair que si l’on entendait plus souvent
ce genre de voix à la télévision plutôt que
celles des imbéciles qui y passent leur temps sous couvert d’expertise
(de quoi, on se le demande), le monde se porterait mieux. On entendrait
alors une voix rappelant l’humilité de ce que nous nommons le réel.
Antoine Beck
.
Francesca-Yvonne Caroutch,
Les enfants de la foudre, Rougerie, 2011, 60 pages, 12 euros.
Un poème de Francesca
Y. Caroutch
.
Semeur d’éveil
.
Un ange noir agite les bas-fonds
plus exaltés que
le feu
au désert du désir
Peu importe
Nous avons la poésie
dans le sang
Voici la terre pure
où le semeur d’éveil
a planté sa tente
.
Les yeux des fleurs s’entrouvrent
sous les fils de la vierge
amis de la rosée
.
À l’aube du silence
intérieur
barque dans les prés
verger sur le lac
Savoir
quand dire les choses les
magnifie
les tue
ou inverse le cours du temps
.
Francesca Y. Caroutch est poète, romancière,
auteur d’essais. (L’alchimie, Giordano Bruno, la symbolique de la licorne…).
Au fond, elle est surtout poète, au sens de chercheuse, travailleuse
de sa pierre intérieure.
Juillet 2012
Autour de Francesca Y. Caroutch,
ses débuts et quelques uns des derniers échos (Editions
Encres vives, 2010)
Francesca Y. Caroutch, «
L’or des étoiles », préface de Salah Stétié,
Editions du Cygne, Paris, 68 pages, 10 euros, 2015.
Avec Francesca l’amour ne change
pas, ne change plus. Il est resté le même depuis le jour où
la poétesse rencontra François Augiéras. A l’aurore
de sa vie la jeune femme fut la Visitée, l’enfant de la foudre qui
dut payer cher pour son amour : de misérables pitres creusèrent
devant le couple des abîmes.
On retrouve le poète dans
« L’or des étoiles » : il y est l’ombre et la lumière.
Et l’auteure rappelle leur entente :
« Nous célébrions
la transhumance des esprits
à travers les
milles scintillements de la matière
les métamorphoses
du cosmos vers la lumière »
.
L’amour fut d’emblée spirituel,
deux énergies célestes s’y cristallisaient même si
le corps était loin d’être absent. La « vieille âme
déroutée » d’Augiérias trouva dans « la
chair si jeune » de son aimée de quoi « plonger les
mains / dans la farine des matins ». La délectation s’y prolongeait
quand cela était permis par une marâtre jalouse de l’apaisement
de son fils au côté de sa « pêche meurtrie mais
aussi enivrée que la guêpe ».
Tout Francesca Y. Caroutch est là.
Derrière les portes du temps elle apprit qu’il en existait
d’autres « jusqu’au vertige / au grand vide de la félicité
». L’Eros est donc la partie secondaire d’un amour plus mystique
qui ne cesse de nourrir la poétesse. La fille éphémère
y transcende les instants et le temps. A son aune « L’amour fou »
cher à Breton semble d’une platitude crasse. C’est pourquoi
les poèmes se succèdent pas saccades pour rejoindre la frontière
des « ténèbres radieuses ». L’oxymore n’est pas
ici une simple figure de style.
Au milieu des couleurs de l’instant
le présent seul est « l’or du temps ». C’est pourquoi
Augiérias disparu depuis si longtemps demeure l’Amant. Ce qui ne
veut pas dire pour autant que F. Y Caroutch le « pétrarquise
». Grâce à lui la douleur de la séparation temporelle
a dérivé sous d’autres cieux. Le cœur de celle qui se dit
« fille d’un volcan éteint, île à l’abandon »
reste l’Ardente. Elle rejoint par son amour une divinité qui ruisselle
de sueurs mythiques et mystiques. La passion trouve là son plus
haut sens.
.
Jean-Paul Gavard-Perret
Salon Littéraire
L’or des étoiles.
Poèmes de Francesca Y. Caroutch.
Éditions du
Cygne, Paris, 2015.
.
Visite ailée de la félicité
Demain la lumière
ruissellera à gros bouillons
sur le sillage brûlant de l’aimé
.
Quelle est cette langue d’alliance qui s’écrit
de haut en bas de bas en haut, ostensible cadencée comme des gouttes
de pluie ?. Quelle est cette langue duelle composite reliant
le ciel et la terre, de l’un et de l’autre éminemment solidaire,
affinant ses accointances avec la matière passée par tous
les états du singulier et du complémentaire ?
.
Nous sommes la voûte étoilée
et le ciel est sur terre
..
Une tentative de langage, de pont lancé
sensible, architectonique avec l’autre monde ; l’autre vide et l’autre
langage.. .
C’est une vision suspendue dans les
airs
Une fresque pariétale tracée
dans le noir
un mandala ou l’île de la Dame
flottant dans le ciel à mille
pétales
.
Sur cette formation scripturaire, cette construction
de la lettre enlevée, des mots, des images, des captations circulent
en éclaireurs, en pontonniers, comme si l’une des tensions majeures
de l’ouvrage et le don ultime de la poétesse étaient l’élaboration
d’une langue libre, sujette aux éblouissements et divulgations de
l’autonomie, armée pour poursuivre par elle-même son propre
périple.
.
La torche du solstice vacille
L’air tremble autour de nous
dans l’attente enchantée du
soir
.
Là où elle trouve son fil conducteur,
son passage, le corps de l’être ne passerait pas, serait refoulé
aux instances inférieures.. On sent, à chaque instant, que cette
langue élue s’est détachée, n’a gardé qu’un
lien volatile avec son auteur, apprend à marcher toute seule. Il
a fallu sans doute que la femme écrivant prenne sur elle toute la
virtualité immesurable de l’amour pour opérer un tel passage. . Pourtant, il n’est que d’ouvrir les yeux,
de disposer ses sens pour faire provision de l’extraordinaire.
.
Vous avez reçu des signes
que vous préférez ignorer
Apprenez à scruter l’étonnement
boréal
dans le sanctuaire de la nature
enceinte de splendeurs toujours vierges
.
Tant de pureté d’une langue met à
mal les antagonismes d’un rêve, en même temps qu’elle les exacerbe
: ici tout se conte en état d’éveil : le plein, le creux,
le proche, le lointain, le raffinement du verbe, ses gerbes de paroles
aussi bien dans l’espace narratif que par-delà la mort.. .
Chaque poème est un outil de l’âme
qui accomplit son propre geste, parfait sa tâche à des myriades
d’inconnues pour révéler sa part de lumière.
.
Nous avançons ivres de prodiges
ordinaires
Pulsations de sources secrètes
Ravissement du bleu intérieur
.
Mais chaque outil prépare aussi la fusion
du grand œuvre final : la saisie de deux êtres ciel et terre que
la beauté émergente de la langue a mis en condition pour
une éternelle et réciproque fécondation.. .
Sans doute le montreur d’avenir, le "migrant",
ressuscite-t-il sans fin les appels.
.
De la nuit brillante des primates
un messager décrit
ce qui ne peut être transmis
que par brûlure
.Sans doute la prodigalité
des corps unis dans l’amour peut un instant dérober la langue, la
détourner de sa ligne de fuite. À moins qu’elle ne redouble
et renforce le bien-fondé de son origine. . Et le fil de trame se poursuit, va et vient
de soi à l’être à l’univers à la fois labile
et irréductible, vierge pur expert : partout se lit dans les jours
et les nuits au travers de l’espace sa trace hyperbolique, bien que sa
coulure, sa brillance à même la terre soit celles d’un animal
de nature.
.
De l’aube dorée du millième
matin
surgissent les fruits juteux du silence
O la simple queue plantée
jusqu’au noyau de la cerise
.
Au même instant, dans l’atelier, au moyen
de ses prismes sensoriels et de sa mémoire, la femme poète
le travaille encore, le nourrit, l’apprête aux multiples voyages
: fil de trame de haute et de basse lice ou s’engouffre tout une féérie
de messages.
.
À la Saint-Jean le millepertuis
chassera tous les mauvais esprits
.
Au loin passe Isis
debout sur sa barque
.
Je t’attends sur l’autre rive
au miroir de la rosée
.
Tout ce qui parait dans ces pages est en phase
d’ascension, d’éclosion, d’un bain à l’autre des étapes
et des transmutations. Le texte est doté vigoureusement d’une paire
d’ailes. Ce qui s’éveille se capte à la volée par
les mains franches de la voûte céleste, sert de fragment de
liaison entre le vécu et l’universel.. Ces mots, ces traits, ces taches de lumière,
d’écriture, ont leur chambre dans le ciel. . Le livre ouvert, la langue monte encore, fusionne
avec l’"Or des étoiles"et ces parcelles d’infini qu’elle
nous délivre jamais les mêmes - cent lectures n’y suffiraient
pas -sont la preuve d’une vérité qui l’engage. . Mais peut-on rendre compte d’une écriture
éminemment en mouvement, dont le jeu supérieur est de renaître
sans fin et de nous apparaître sans cesse différente. Le livre
à peine refermé, l’esprit de recherche reprend, en quête
des mystères d’une nouvelle moisson. Mais écoutons encore
ce précieux conseil en exergue de l’un des poèmes.
.
À lire seulement au crépuscule
de l’été
lorsque la lumière est encore
si forte
qu’elle pénètre dorée
dans la terre
où elle demeurera cachée.
.
Odile Cohen-Abbas in HSE
N° 40. Cahiers Littéraires. Jacques Lacarrière. Paris,
Ecouen. 2° trimestre 2015.